Coup de bélier à l’Élysée

Cadeau empoisonné pour Jacques Chirac

Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1997 - 424 mots

Le bélier malien offert à Jacques Chirac par ses collaborateurs à l’occasion de son 64e anniversaire relance la question du trafic des pièces archéologiques fouillées illicitement au Mali et dans les pays d’Afrique sub-saharienne.

PARIS - En 1990, ayant eu vent de fouilles clandestines dans les environs de Thial, les autorités ma­lien­nes se sont rendues dans ce village du delta du Niger pour y saisir plusieurs pièces, dont des quadrupèdes en terre cuite (béliers ?) "aux formes massives et styli­sées, la bouche ouverte". Ceux-ci sont reproduits à la page 109 du catalogue Cent objets disparus : Pillage en Afrique, édité en 1994 par le Conseil international des musées (Icom) et largement diffusé auprès des professionnels du monde de l’art.

"À première vue, le bélier offert à Jacques Chirac est tout à fait caractéristique du type d’objets pillés aux environs de Thial, a déclaré le secrétaire général de l’Icom, Élisabeth des Portes. Sous réserve qu’il ne s’agisse pas d’une copie ou d’un faux." Si elle est authentique, la pièce incriminée peut être estimée entre 5 000 et 10 000 francs, soit infiniment moins que les terres cuites de Djenné ou les statuettes dites "Bankoni", qui font également l’objet de pillages au Mali. Depuis que les États-Unis ont signé des accords bilatéraux avec le Mali, ainsi qu’avec quatre pays d’Amérique latine, interdisant la vente sur le territoire américain de pièces archéologiques provenant de ces états, les objets en question arrivent en grand nombre sur le marché européen, notamment à Londres et à Paris.

Pour lutter contre le trafic illicite des objets d’art, les conventions Unesco (1970) et Unidroit (1995) imposent à l’acheteur qu’il puisse "prouver avoir agi avec la diligence requise au moment de leur acquisition". En particulier, qu’il ait consulté tous registres et documents raisonnablement accessibles relatifs aux biens culturels volés ou tout organisme susceptible de l’informer. Mais ces conventions n’ont pas encore été ratifiées par la France, et leur application n’aura pas d’effet rétroactif. Interrogé sur les conditions d’acquisition du bélier, Dominique de Villepin, secrétaire général de l’Élysée et lui-même amateur d’art primitif, a demandé au service de presse de la Prési­dence de "ne pas communiquer sur ce sujet". Pour l’heure, l’ambassade du Mali à Paris a transmis les coupures de presse relatant "l’affaire" à ses autorités de tutelle et ne peut se prononcer sur les suites que son gouvernement souhaite y donner. Quelques semaines après avoir annoncé son projet de grand musée des "Arts premiers" au Palais de Chaillot, nul doute que Jacques Chirac se serait certainement passé d’un cadeau d’anniversaire aussi embarrassant…

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°32 du 1 janvier 1997, avec le titre suivant : Coup de bélier à l’Élysée

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