Lambert contre Lambert

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1997 - 437 mots

Rien ne va plus entre la baronne Lambert et la banque du même nom. La collection de photographies contemporaines de Marion Lambert est interdite d’exposition dans le nouveau siège social genevois de la Banque Bruxelles Lambert (BBL), construit par Mario Botta, certaines images pouvant \"effrayer les clients\".

GENÈVE. En dix ans, Marion Lambert a constitué une importante collection de photographies contemporaines. Aujourd’hui, la "Lambert Art Collection" (LAC) comporte plus de 400 œuvres, d’Araki à William Wegman, en passant par Boltanski, Patrick Faigen­baum, Robert Frank, Robert Mapplethorpe, Duane Michals, Irving Penn… Régu­lièrement, la filiale genevoise de la prestigieuse BBL belge exposait des images et organisait des visites pour happy few. La baronne chérissait le nouveau bâtiment qui devait permettre à sa collection de sortir de la confidentialité grâce à un accrochage dans des espaces ouverts au public. L’arrivée d’un nouveau directeur général, Guy de Marnix, 35 ans, a mis fin à son rêve. Celui-ci, considérant "qu’une banque n’est pas un musée", exige que certaines images "aptes à effrayer les clients" soient décrochées. Incri­minés : une série de Nan Goldin montrant, avec le voyeurisme qui a fait son succès, une drag queen ; l’image par Wolfgang Tillmans d’un couple d’homosexuels tendrement mais pudiquement enlacés ; les visages déformés de Thomas Schütte ; les critiques bien connues des stéréotypes féminins par Cindy Sherman ; mais également les gentils petits chiens de Rosemarie Trockel ; trois portraits monumentaux et quasi inexpressifs d’adolescents par Thomas Ruff… Vaste coup de balai ! Marion Lambert, dont le mari Philippe est président du conseil d’administration de la filiale suisse mais n’est plus majoritaire, propose l’arbitrage d’un comité de directeurs de musées. Sa proposition est refusée. Elle souligne que plusieurs des images contestées ont leur pendant dans de grands musées ou des collections d’entreprise, comme la Fondation Cartier à Paris ou la Chase Manhattan Bank à New York. "Il n’y a pas deux sortes d’art, l’un pour décorer les banques, l’autre destiné aux musées", s’enflamme-t-elle. Marion Lambert réunit un épais dossier de lettres de soutien signées par des conservateurs ou des directeurs de musées renommés – Museum of Modern Art, Metropolitan, Whitney, Guggen­heim, Kunsthalle de Bâle, Kunst­haus de Zürich… –, reconnaissant la qualité de ses choix et stigmatisant le puritanisme ou la censure. Devant l’ampleur prise par la polémique, Guy de Marnix décide alors de tout faire décrocher. "C’est une affaire privée, se borne-t-il à déclarer aujourd’hui, je regrette qu’elle ait été portée par certains sur la place publique". La collection, qui sommeille actuellement dans le port franc de Genève, sera accueillie en mars par le Centre d’art contemporain de Genève, ensuite par le Deich­tor­hallen d’Hambourg.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°32 du 1 janvier 1997, avec le titre suivant : Lambert contre Lambert

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