Les juges se rebifferaient-ils ?

L’affaire du Frans Hals saisi à la Biennale des antiquaires

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 1 février 1997 - 756 mots

La Cour d’appel de Paris a confirmé le non-lieu prononcé en faveur d’Adam Williams, le marchand américain acheteur du Portrait de Adrianus Tegularius de Frans Hals, qui avait été volé avec la collection Schloss par des collaborateurs des nazis pendant la dernière guerre. Cette décision, en contradiction avec un précédent arrêt de la même juridiction, manifeste peut-être un malaise des juges estimant que l’État leur demande de corriger ses propres inconséquences.

PARIS - En 1990, lorsque Jean Demartini, un des héritiers de la collection Schloss, faisait saisir le Frans Hals exposé à la Biennale des antiquaires, il ne pouvait agir qu’en invoquant le recel. Quarante-sept ans après le vol de la collection, les actions étaient prescrites. Par contre, en droit français, le recel est un délit continu, et la détention en connaissance de cause d’une œuvre volée restait punissable. La saisie du tableau – pièce à conviction – est intervenue et a été ultérieurement confirmée, compte tenu de cette procédure. Un non-lieu définitif autoriserait par conséquent l’acheteur (ou Christie’s, qui a remboursé son client) à demander la restitution de l’œuvre.

On comprend donc que Jean Demartini ait fait appel de l’ordonnance de non-lieu. Le 17 octobre 1996, la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Paris ne lui a pas donné satisfaction. En ce qui concerne le recel, les juges d’appel ont repris l’argumentation du juge d’instruction : "L’acquisition au prix du marché, lors d’une vente aux enchères (...) précédée de trois ventes aux enchères (...) par des sociétés de renom international (...) d’une œuvre, certes signalée comme provenant d’une spoliation nazie, mais dans un répertoire de 1947, pratiquement inconsultable (...)" puis son "importation régulière en France (...) et son exposition à la XVe Biennale (...) ne permettent pas de caractériser la mauvaise foi (de l’acquéreur) nonobstant ses compétences déclarées en matière d’œuvres du XVIIe siècle".

Obsolète
La Cour d’appel ajoute une critique implicite de l’État en soulignant que des ventes publiques se sont tenues (en 1967, 1972 et 1979) "sans que les autorités françaises n’aient estimé devoir intenter un recours légal" et que si le répertoire de 1947 était en quelque sorte inopposable à l’acheteur, c’était "à raison du peu d’exemplaires disponibles" et du fait de son caractère "obsolète faute de mise à jour".

Les juges d’appel ont par ailleurs relevé qu’une "transaction" était intervenue avec l’État fédéral allemand pour indemniser la famille. Une indemnité a effectivement été versée aux quatre héritiers Schloss en mars 1961, et l’une des cohéritiers a écrit en avril 1961 aux musées nationaux  en se désistant, pour elle-même et pour les autres héritiers, de toute action ultérieure du fait de l’accord intervenu. Le ministre des Affaires culturelles avisait d’ailleurs à l’époque les autorités allemandes du retrait "des réclamations afférentes à la collection Schloss". La Cour d’appel a estimé que ces courriers "confèrent depuis cette date un caractère régulier à la possession des pièces de ladite collection". Cette conclusion peut sembler logique. Pourquoi l’État poursuivrait-il aujourd’hui ce qu’il a semblé approuver antérieurement ?

Remarques aigres-douces
Pourquoi la chambre d’accusation de la Cour d’appel a-t-elle conclu de façon contradictoire à quatre ans d’intervalle ? En 1992, les juges d’appel avaient en effet rejeté une demande de levée de la saisie du tableau, en soulignant qu’il "ne résulte pas des documents produits et des investigations entreprises que Henry Schloss (dont Jean Demartini tient ses droits) ait renoncé à l’exercice de toute action en revendication des tableaux qui n’ont pas été restitués. En outre le ministère des Affaires étrangères (est intervenu) auprès des autorités norvégiennes, allemandes et britanniques en faisant valoir que cette œuvre d’art avait été illégalement exportée du territoire français". Cette contradiction est sans doute due à la complexité des circonstances et des règles applicables. En outre, dans l’action pénale, c’est le ministère public (ici aiguillonné par Jean Demartini) qui poursuit. Mais le ministère public, c’est l’État, et l’attitude de l’État dans le règlement des problèmes de spoliation n’a pas toujours été exempte d’ambiguïté, comme cela a été souligné à propos des "MNR".

Dans cette perspective, la dernière décision de la Cour d’appel, et ses remarques aigres-douces sur le répertoire et l’absence d’actions judiciaires à l’étranger, ne seraient-elle pas une invitation des juges à l’État : aide tes ressortissants, la justice t’aidera. Ou plus brutalement : pourquoi demander aux juges de trancher des problèmes que l’État n’a pas su ou voulu régler quand cela était en son pouvoir ? Pour l’instant, le parquet a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel. Le tableau est toujours dans les locaux de l’OCRVOOA.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°33 du 1 février 1997, avec le titre suivant : Les juges se rebifferaient-ils ?

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque