Artisanat d'art

L’Atelier Sanson, de père en fils

De l’ébénisterie à la marqueterie

Par Adam Guillaume · Le Journal des Arts

Le 1 février 1997 - 816 mots

Les frères Sanson sont Meilleurs ouvriers de France, comme leur père Raymond dont ils ont pris la succession en 1985. Dominique est ébéniste, tandis qu’Éric vient de recevoir le Grand prix de la Ville de Paris 1996 pour ses marqueteries. Leurs meubles et objets de tabletterie sont exportés dans le monde entier, leur savoir-faire est unanimement loué par leurs pairs, et pourtant, les commandes se font attendre.

SAINT-AUBIN-LE-VERTUEUX. "Ruhlmann, au pied !" Avant même de pénétrer dans l’atelier des frères Sanson, tout est dit. Domi­nique, l’ébéniste, apprécie "la sobriété et le raffinement du mobilier Art déco", tandis que son frère Éric, en bon marqueteur, est sensible à "l’utilisation de matériaux précieux et originaux : loupe d’amboine, ronce de frêne, os bleuté, écaille teintée, galuchat…" Le chien a même failli s’appeler "Ébène de Macassar" à cause de son pelage, "mais c’était un peu long."

Créateurs inspirés, les deux frères ne copient jamais : ils réinterprètent un esprit et un style qu’ils "ressentent bien". Beaucoup ont succombé à l’élégance de leur production, à commencer par les "institutionnels" dont les commandes ont contribué à la réputation d’excellence de leur atelier : cave à cigares offerte par le Sénat américain à Bill Clinton ; coffrets pour deux nabuchodonosors de champagne remis à Ronald Reagan et François Mitterrand ; coffrets, encore, offerts aux chefs d’États réunis à Lyon en 1996 pour le sommet du G7… Sans compter d’autres objets de tabletterie exécutés pour les plus grandes maisons, d’Asprey à Puiforcat, qui n’hésitent pas à payer le prix fort pour "ce qui se fait de mieux". Exemple, cet écrin-valise conçu pour un joaillier de la place Vendôme qui a coûté 130 000 francs ! Au point que ces prestigieux clients ont fait de l’ombre à la bonne marche de leurs affaires : "Ce type d’objets exceptionnels ne suffit pas à nous faire vivre, les gens doivent aussi savoir que nous sommes capables de réaliser un très beau meuble pour moins de 40 000 francs." De fait, les commandes ont aujourd’hui du mal à rentrer, et l’histoire de l’Atelier Sanson illustre bien le marasme auquel est confronté l’artisanat d’art.

La voie royale
Installés à 140 km de Paris, dans l’Eure, Dominique et Éric Sanson ont suivi la voie royale : formés à l’école Boulle, ils ont tous deux obtenus le titre de Meilleur ouvrier de France, ainsi que quantité de prix et distinctions. Dernier en date, le Grand prix de la Ville de Paris 1996 décerné à Éric, qui arrive à point nommé : "Nous avons fait une très bonne année en 1994, un peu plus d’un million de francs de chiffres d’affaires, mais celui-ci a diminué de moitié en 1995, et encore de moitié en 1996… tout juste de quoi couvrir les frais de l’atelier." Selon eux, "les choix de société sont aujourd’hui radicalement différents, les gens préfèrent s’offrir une belle voiture ou voyager", et surtout, "ils ont pris le pli d’acheter des meubles et des objets qui existent déjà, soit sur catalogue, soit dans les grands magasins". La notion de pièce unique, le plaisir de posséder un objet d’art qui intègre l’histoire personnelle de son commanditaire, a semble-t-il disparu. Pire, "les gens ne sont plus sûrs de leur goût, ils ne sont plus prêts à se faire confiance", renchérit Éric Sanson. Ajouté à cela, des charges toujours plus lourdes qui se répercutent inévitablement sur le prix horaire de la main-d’œuvre et découragent les velléités des rares amateurs.

Aux Grands ateliers de France
Ce ne sont pas des paroles en l’air, l’atelier est désespérément vide, à l’exception des premiers éléments d’un clavecin signé Reinhard von Nagel dont ils réaliseront la marqueterie en ébène de Macassar. L’isolement n’explique rien :"Papa a toujours travaillé à Saint-Aubin-le-Vertueux. Grâce au bouche à oreille, les gens de la région venaient le voir avec des articles découpés dans les journaux ou une idée. Le dimanche, il dessinait un 10e qu’il présentait quinze jours plus tard. Neuf fois sur dix, l’accord était conclu, et la salle à manger Régence en merisier ou la bibliothèque Empire en acajou étaient livrées environ un an après." Mais aucun des clients du père ne s’est jamais adressé aux fils depuis que le "chef" a pris sa retraite.

Ne reste plus qu’à attendre que le bouche à oreille fasse de nouveau son œuvre, que la personne chargée de leur promotion aux États-Unis engrange des commandes, que leur arrivée au sein de l’association des Grands ateliers de France aide à les faire connaître davantage… Mais d’ici là, "y a pas de problèmes, faut se retrousser les manches et puis foncer !"

Atelier Sanson, Le Bourg, 27300 Saint-Aubin-le-Vertueux, tél. 02 32 46 49 47.

L’exposition "Mains et merveilles", organisée par les Grands ateliers de France l’automne dernier au Couvent des Cordeliers, est présentée jusqu’au 15 mars au Carrousel du Louvre, dans le nouvel espace "Art de vie". Elle rassemble une quarantaine d’artisans d’art membres de l’association.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°33 du 1 février 1997, avec le titre suivant : L’Atelier Sanson, de père en fils

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