Photographically correct !

Quels choix pour les collections nationales ?

Le Journal des Arts

Le 1 février 1997 - 721 mots

Le Musée national d’art moderne (Mnam) expose une partie de ses collections photographiques les plus récentes, complétées du dépôt d’une partie des achats photo du Fonds national d’art contemporain (Fnac). Une belle présentation consensuelle, qui évite habilement les interrogations fondamentales sur la création photographique et sur la nature des choix dans les collections nationales.

PARIS - On fait souvent reproche au Musée national d’art moderne de ne pas exposer ses collections photographiques, pratiquement privées d’espace permanent (mise à part l’étroite chambre de la Tour, récemment occupée par Paul Facchetti). L’exercice délicat de cette exposition consiste donc à tenir simultanément le pari du titre et du sous-titre, en proposant à la fois un bilan ambitieux (la photographie contemporaine en France) et une démonstration de l’action de l’État (dix ans d’acquisitions) en même temps que le bien-fondé de la réunion de deux fonds (collections acquises par le musée et achats du Fnac jusqu’en 1987). Il était légitime que l’exercice soit tenté, et il faut dire que l’accrochage – soigné, comme à l’accoutumée – dans trois espaces lobaires cernés de courbes invite au parcours sinueux et flâneur qui permet de butiner à son gré. Mais il est clair que l’écrin ne peut cacher l’irréductible disparité de l’ensemble, du reste revendiquée comme "diversité et dynamisme" de la photographie contemporaine. Certes ! Mais faut-il pour autant maintenir aujourd’hui une unité de façade au motif minimal que "les images ont toutes été obtenues par le même procédé" (l’action de la lumière sur une surface sensible), sans égard pour les intentions de "l’artiste", ni pour les fonctions fort disparates de ces images ? Le débat sur l’intentionnalité et la fonctionnalité, s’il ne peut être tranché, devrait au moins être engagé, à l’heure où le ministère de la Culture annonce des regroupements des actions pour "la photographie" – et où la Maison européenne de la Photographie connaît les mêmes doutes ontologiques.

Un jardin propret et ratissé
Il ne s’agit pas de jeter la pierre dans un jardin propret et ratissé, mais de reconnaître la difficulté à comprendre les motivations "artistiques" (si elles le sont ?) de la fin de ce siècle. Et le public aura bien du mal à s’y retrouver, entre la photographie de musée – produite comme telle - et le déploiement de secteurs variés de l’activité photographique (publicité, mode, commande architecturale), avec des exclusions manifestes (journalistique notamment) ; entre l’assimilation "au rang des beaux-arts" – un fantasme de la critique – et le rejet par les arts plastiques de l’automaticité simpliste du procédé. Qu’est-ce qui motive le rapprochement de Witkin – nous recrachant une simplette histoire de l’art sur papier bromure – de la campagne Vuitton 92 de Larivière, et du retour nostalgique au pays de Depardon, sous le patronage de Christian Boltanski, acceptant (apparemment) maintenant d’être intégré à la photographie et donnant, sous les traits de saint Vincent de Paul, sa bénédiction à Pierre et Gilles ? Si les meilleures réussites photographiques leur vient d’être "un mode de représentation approprié à la situation" – comme c’est le cas de l’unique panorama d’un site minier tchèque par Koudelka ou des peintures d’espaces de Rousse –, on peut difficilement en dire autant des formats géants, mais bien vides et vains, d’Angela Grauerholz, Ange Leccia, Gloria Friedmann ou Louis Jammes, qui font chèrement les beaux jours du marché. On pourra aussi s’interroger sur des choix peu représentatifs ou pusillanimes dans l’œuvre de certains photographes (Plossu, Basilico, Claass, Sophie Calle).

Reste cependant "la photographie" ! Celle de Bailly-Maître-Grand, de Keiichi Tahara, de Jun Shiraoka, de Rasi, de Suzanne Doppelt, de Georges Rousse (particulièrement un triptyque de petit format), et l’impression qu’un pacte de non-agression temporaire permet d’éviter la guerre de tranchées. Mais la ligne de partage court quelque part entre les concepts artistiques en vigueur et une technicité qui leur échappe, et la neutralité du musée ne pourra l’effacer. Les organisateurs ne reconnaissent-ils pas à la photographie le pouvoir de "miner le champ des pratiques artistiques" (ce qu’elle fait depuis l’origine) ? Et on attend toujours la déflagration.

LA PHOTOGRAPHIE CONTEMPORAINE EN FRANCE : DIX ANS DU FNAC ET DU MNAM, jusqu’au 31 mars, Centre Georges Pompidou, 1er sous-sol, tél. 01 44 78 49 88, lundi-vendredi 12h-22h, samedi, dimanche et jours fériés 10h-22h. Catalogue, préface d’Agnès de Gouvion Saint-Cyr et d’Alain Sayag, éditions du Centre Pompidou, 120 p., 130 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°33 du 1 février 1997, avec le titre suivant : Photographically correct !

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