Orfèvrerie

Trophée de guerre lasse

Fatigué de courir après les musées, le découvreur d’un trésor d’orfèvrerie de la Renaissance porte son butin aux enchères chez Sotheby’s

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 28 octobre 2009 - 705 mots

PARIS - Le 9 novembre à Paris chez Sotheby’s, seront vendues trente et une pièces de vaisselle de la Renaissance, toutes en argent et vermeil.

Cet ensemble incroyable a été découvert en novembre 2006 à Pouilly-sur-Meuse, bourgade lorraine comptant moins de 200 habitants, par un particulier qui effectuait, aidé d’un ami, des travaux de déblaiement dans son jardin. En creusant un puits d’évacuation des eaux, les deux hommes tombent sur des grosses pierres de taille formant un angle sous lesquelles ils découvrent des « boîtes ». Au vu de leurs ciselure et dorure, ils comprennent qu’ils ont déterré un trésor. Ils en informent le maire du village qui s’adresse alors au conservateur du Musée de Bar-le-Duc, lequel en réfère à son tour à la direction régionale des Affaires culturelles (DRAC) de Lorraine. Les « boîtes » sont alors identifiées comme un groupe exceptionnel de pièces d’orfèvrerie civile française, daté entre 1480 et 1570.
« Ce genre de découverte est absolument rarissime, rappelle l’expert Thierry de Lachaise, directeur du département orfèvrerie de Sotheby’s France. Les seuls exemples comparables sont, au XIXe siècle, le trésor dit des “Trois-Épis”, découvert en 1864 à Ammerschwihr en Alsace et qui figure dans les collections du Musée d’Unterlinden à Colmar, et celui de Gaillon, découvert en 1851, partagé entre les musées de Cluny (Paris), le Victoria and Albert Museum à Londres et l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Notons encore le trésor de Coëffort, découvert au Mans en 1953 et aujourd’hui conservé à la cathédrale du Mans ». La vaisselle trouvée à Pouilly-sur-Meuse, dépourvue d’armoiries mais gravée des initiales « NB », appartenait probablement à une famille issue de la haute bourgeoisie. « Le fait que ces pièces aient été conçues sur un siècle tend à prouver que cet ensemble s’est enrichi au sein d’une même famille pendant quatre générations », ajoute l’expert.

Classé trésor national
Bien que les musées aient très vite été informés, c’est pourtant à Paris chez Sotheby’s que se joue aujourd’hui le destin de ce trésor. Avide de se l’approprier, la DRAC de Lorraine en avait estimé la valeur à 2 millions d’euros. Début 2008, l’administration régionale fait au découvreur une offre d’un montant de 1,4 million d’euros, offre acceptée. Mais la somme tardant à être réunie, l’homme reprend les choses en main et se tourne vers Sotheby’s. Les vacations d’orfèvrerie de l’auctioneer retiennent d’autant plus son attention que celui-ci se souvient d’une aiguière venant de Quimper et datée du XVIe siècle, en argent et vermeil, qui s’envola à 312 000 euros le 28 mars 2007 à Paris chez Sotheby’s. Par arrêté ministériel du 27 avril 2009, l’État classe « trésor national » cet ensemble d’orfèvrerie baptisé « trésor de Pouilly-sur-Meuse » (1) , avec l’espoir qu’une entreprise mécène se manifeste (2). Reste à savoir quel montant il faudra débourser pour acquérir ce trésor, dispersé aux enchères en dix lots, avec faculté de réunion. « Nous n’avons pas de référence de prix pour ces objets totalement inédits », souligne Thierry de Lachaise, qui estime l’ensemble à un million d’euros au minimum. La pièce la plus importante est une aiguière au poinçon de Paris, vers 1480, « sans doute la plus ancienne aiguière parisienne répertoriée à ce jour », indique l’expert qui n’en attend pas moins de 300 000 euros. Les trois coupes finement ciselées (vers 1550) ont été évaluées 150 000 euros l’unité, tandis que les deux timbales emboîtables, réalisées vers 1560-1567 par le grand orfèvre strasbourgeois Théodore de Bry, sont estimées 200 000 euros au minimum. Notons enfin une série historiquement importante de douze cuillères réalisées vers 1520 à Châlons-en-Champagne, estimée 150 000 euros. Selon Thierry de Lachaise, « la notion de douzaine pour les couverts fait allusion à la Cène du Christ (d’où est issue aussi l’idée de ne jamais être treize à table). Les chercheurs pensaient que cette notion avait émergé en France vers la fin du XVIIe siècle. Grâce à la découverte de Pouilly, on a fait un bond de 150 ans en arrière ! ».

(1) ce qui a pour conséquence de bloquer les pièces sur le territoire national pour un délai de trente mois.

(2) Pour un trésor national, la réduction de l’impôt sur les sociétés se monte à 90 % de la somme versée.

TRÉSOR DE POUILLY-SUR-MEUSE, vente le 9 novembre à la Galerie Charpentier, Sotheby’s, 76, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 75008 Paris, tél. 01 53 05 53 05 ; exposition publique : du 4 au 7 novembre 10h-18h, www.sothebys.com

TRÉSOR DE POUILLY-SUR-MEUSE
Expert : Thierry de Lachaise
Estimation : 1 million d’euros
Nombre de lots : 10

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°312 du 30 octobre 2009, avec le titre suivant : Trophée de guerre lasse

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque