Urgence

L’art près de la fin

Avec « Deadline », le Musée d’art moderne de la Ville de Paris revisite l’œuvre ultime

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 27 octobre 2009 - 512 mots

PARIS - Comment créer lorsque, en plus d’être inéluctable, on sait la fin proche ? Comment cette conscience d’une mort prochaine surgit-elle dans l’œuvre d’art ? Conduit-elle à des modifications significatives de la forme et de la pratique ?

Voilà quelques-unes des questions abordées de front par l’exposition « Deadline », proposée par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVP). Le parcours découvre une sélection d’œuvres de douze artistes souvent touchés par la maladie – parmi lesquels Absalon, Felix González-Torres, Martin Kippenberger ou Willem De Kooning –, des pièces réalisées au cours de leurs dernières années de production.

Tombeau d’or
Si cette problématique nécessite, pour le spectateur, d’être maniée avec précaution en ce qu’elle pourrait faire naître une compassion qui fausserait le regard et le jugement, elle n’en demeure pas moins passionnante. D’abord en raison des exemples ici choisis, qui démontrent que la réaction face à la maladie ou la mort est diverse. Ensuite parce que les œuvres accrochées font pour l’essentiel montre d’une très belle qualité.
Il est possible de discerner les deux directions principalement empruntées par les artistes dans ce contexte particulier. La première a trait à une forme d’esthétisation presque extrême des relations au corps et à l’être. Ainsi Robert Mapplethorpe, atteint du sida, rajoute à sa déchéance en se portraiturant les traits tirés, avec à la main une canne à pommeau en forme de crâne (Selfportrait, 1988), tout en multipliant les évocations à la statuaire classique, d’une beauté parfaite. Très sensible, Chen Zen fait référence à son corps malade avec des sculptures évoquant notamment ses organes déficients (Crystal Landscape of Inner Body, 2000). Spirituel, James Lee Byars, souffrant d’un cancer, met en scène sa disparition future dans un espace couvert de feuilles d’or, où son corps est remplacé par cinq faux diamants (The Death of James Lee Byars, 1994) ; une façon « d’admettre l’idée de la mort ».
Mais l’approche de la fin se traduit également par des évolutions en termes de style et de technique. À la fin de sa vie, Gilles Aillaud, physiquement diminué, ne peint plus que des oiseaux et des bords de mer dans une facture plus libre, alors que Joan Mitchell semble vouloir aller à l’essentiel dans des compositions sur fond blanc, toujours de grand format mais beaucoup plus concises et resserrées.
La nécessité de poursuivre la création conduit certains à procéder à des innovations techniques, tel Jörg Immendorff, paralysé, qui avec l’aide de ses assistants compose ses toiles par ordinateur à partir de motifs insérés dans un programme, alors que Hans Hartung met au point un système de projection de pigments à l’aide d’une sulfateuse à vigne spécialement adaptée.
Touchant, et parfois troublant, ce parcours affirme une qualité commune à tous les artistes convoqués : un refus d’exploiter leur condition précaire à travers le drame et le pathos.

DEADLINE, jusqu’au 10 janvier 2010, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, av. du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-22h. Catalogue, éd. Paris-Musées, 204 p., 34 euros, ISBN 978-2-7596-0108-0.

DEADLINE
Commissaire : Odile Burluraux, conservatrice au MAMVP
Nombre d’artistes : 12
Nombre d’œuvres : 79

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°312 du 30 octobre 2009, avec le titre suivant : L’art près de la fin

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