306 jours avant l’ouverture du marché

La notion de service est la clé

Un point de vue de Me Jean-Pierre Osenat

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 mars 1997 - 871 mots

Me Jean-Pierre Osenat, commissaire-priseur à Fontainebleau, s’est rendu un mois à New York pour observer le marché américain à la lumière de la prochaine ouverture des frontières françaises. Voici son point de vue.

Aux yeux des Américains, notre système est le plus souvent synonyme d’obscurantisme et de complication. Il semblerait qu’il soit relativement difficile pour un étranger non professionnel d’enchérir dans l’une de nos ventes. La manière dont elles sont menées, l’impression que tout le monde n’y a pas les mêmes chances, laissent penser à un jeu d’initiés. Malgré leurs qualités esthétiques et leurs précisions descriptives, nos catalogues ne satisfont pas toujours l’acheteur anglo-saxon, qui remarque que les estimations n’y sont pas indiquées de façon systématique. Bien sûr, le côté artiste et même chaleureux de la méthode française séduit, mais il ne semble pas suffisant pour faire face à la crise du marché. L’étranger venu enchérir à l’une de nos ventes reste dans l’incertitude sur l’adjudication réelle ou la reprise de l’objet. Le vendeur aimerait davantage d’indications sur les frais encourus. D’autre part, la relation du commissaire-priseur avec son client est souvent trop individualisée. Les ventes anglo-saxonnes ne font pas toujours appel au même auc­tioneer ; ce dernier peut d’ailleurs être remplacé par un confrère en cours de vacation. L’acheteur américain s’étonne de ce qu’il estime être un manque d’organisation et de professionnalisme chez certains d’entre nous. Il nous reproche souvent un accueil inexistant, un standard téléphonique mal servi, un personnel ne parlant pas forcément anglais et l’absence de la notion de service. Aux États-Unis, une impression générale de transparence se dégage, la salle est très accessible. Suivant l’importance des ventes, les expositions durent d’une journée à une semaine ; les estimations, clairement affichées, peuvent être facilement consultées. Nos confrères anglo-saxons présentent les choses de façon plus ouverte, et tout semble fait pour faciliter le plaisir de l’acheteur et satisfaire des acheteurs pressés. Time is money.

L’auctioneer et l’évolution du marché de l’art
Il est incontestable que le prix des objets a également baissé sur le marché américain. Alors que nous nous trouvions confrontés à des chiffres d’affaires en diminution, nos confrères, face à ce même phénomène, compensaient le manque à gagner par la recherche d’une nouvelle clientèle. Pour se diversifier et contribuer à alimenter leurs finances, certains, en guise d’appel, n’hésitent pas à donner des cours de vente aux enchères. On y apprend aux futurs acheteurs à vérifier l’état de la marchandise proposée, comment enchérir, voire comment lever la main. Il ne paraît plus pensable de se contenter d’envoyer un catalogue et d’attendre l’éventuel acheteur. Utiliser notre compétence réelle et appliquer des méthodes de vente plus proches du client sont indispensables.

L’année 1998 et l’arrivée des Américains sur notre marché devraient inciter les commissaires-priseurs français à penser en termes de synergie et à convenir que notre méthode ancestrale nécessite une modernisation. Un éclairage nouveau sur la vente aux enchères sera très certainement profitable au marché national, le dynamisant et lui apportant un second souffle. Comment vivre à côté de ces multinationales, aux moyens financiers tellement importants ? La question s’est déjà posée aux États-Unis il y a trente ans, lorsque les deux "major companies" se sont installées à New York.
À cette époque, de nombreux auctioneers officiaient dans les différents États, à la manière "américaine". La manière "anglaise" a radicalement changé le paysage. Aujourd’hui, sur les 50 auctioneers de NewYork, il n’en reste réellement que quatre : Sotheby’s, Christie’s, Doyle’s Gallerie et Tepper. Dans tout les États-Unis, seule une petite douzaine de maisons réalise des ventes de qualité avec catalogue (Sloan’s, Butterfield, Leslie Hindman, Skinner, de Mouchelles etc.) et, à côté de cela, des milliers de petites salles organisent des ventes dites estate auctions où l’on ne rencontre que très rarement des objets de qualité. Il faut donc nous préparer.

Les méthodes de vente des Anglais doivent nous conduire à améliorer notre système. Le mot service devra faire partie de notre quotidien. Il pourra se décliner sous diverses formes :
- Effort de relations publiques accru : travail sur listing clientèle, mise à jour, relance, contacts concrets permanents.
- Accueil rapide, chaleureux et efficace, tant au téléphone que sur place.
- Facilité d’enchères par téléphone.
- Système informatique abouti.
- Transparence  dans le montant des honoraires.
- Ouverture de nos activités (assurances, restauration, pédagogie).

La notion de service semble la clef de tout. Comme beaucoup de salles d’importance moyenne qui n’ont pas l’ambition (irréaliste) de rivaliser avec Sotheby’s, ni d’ailleurs avec Tajan, l’Hôtel des ventes de Fontainebleau se doit de proposer d’ici 1998 un réel service, en raisonnant en termes de marketing, et de trouver la niche qui lui permettra d’offrir un service particulier aux acheteurs et aux vendeurs. Il est probable que les objets les plus importants seront dispersés dans des salles des ventes avant tout internationales. Le meilleur moyen est non pas de lutter contre (la notion de synergie est importante pour la qualité de nos relations futures avec nos confrères), mais de cohabiter avec un esprit positif. On peut imaginer que loin de détruire les ventes, leur venue contribuera à les multiplier, faisant de cette pratique un mode de vente de plus en plus courant (Tokyo Auction, supervisée par Bonham’s, première salle de ventes publiques japonaise, vient d’ouvrir).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°34 du 1 mars 1997, avec le titre suivant : La notion de service est la clé

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