Des solidarités à rétablir

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 1 mars 1997 - 684 mots

Dans les prochaines années, restera posée la question des distorsions bien connues entre les conditions des ventes publiques en France et à l’étranger, sur la fiscalité (TVA, taxe forfaitaire...), les effets induits du droit d’auteur (reproduction dans les catalogues, droit de suite...), les garanties (prescription trentenaire, extension des cas de nullité de vente...). Mais il faudra aussi résoudre celles, moins débattues, qui se sont pourtant accrues entre les commissaires-priseurs d’une part, les marchands et galeristes d’autre part. Les principaux clients et fournisseurs des ventes publiques ont été affaiblis, tandis que les solidarités interprofessionnelles se sont progressivement dissoutes. La santé du marché français dépendra beaucoup de sa capacité à résorber des disparités importantes au détriment des négociants.

Le dérapage en matière de TVA a commencé en 1991, lorsque les œuvres confiées par des marchands à des ventes aux enchères ou importées en vue de ventes publiques ont été assujetties. Il s’est aggravé, en 1995, par la généralisation du taux normal de TVA, faisant disparaître le taux réduit dont bénéficiaient les opérations sur les œuvres d’art originales. Une évolution similaire s’est produite pour la taxe forfaitaire. Censée appréhender les plus-values des particuliers – pour les opérations supérieures à 20 000 francs –, cette taxe est collectée par les intermédiaires ou acheteurs avant reversement au fisc. Dans la pratique, les commissaires-priseurs la prélèvent directement sur le prix d’adjudication, tandis que les marchands doivent la prendre en compte lors de leurs achats, ce qui se traduit de facto par une charge fiscale supplémentaire. Le taux a progressivement augmenté pour représenter désormais 5 % en ventes publiques, 7,5 % sur les achats des négociants à des particuliers, et 8 % sur les objets en métal précieux, sans que soit réduit le différentiel de 2,5 points en faveur des ventes publiques.

Marchands et artistes
Des transferts défavorables aux marchands se sont aussi développés dans leurs relations avec les artistes. Certes, les négociants sont épargnés par le droit de suite, qui pèse sur les ventes publiques d’œuvres modernes ou contemporaines, mais ils versent une contribution parafiscale au régime de sécurité sociale des artistes. La dégradation est venue de la TVA. L’assujettissement des plasticiens à la TVA, en 1991, a gonflé la charge fiscale. L’aggravation s’est produite avec la transposition de la 7e directive, qui a soumis leurs ventes au taux normal. Une TVA à deux vitesses – 5,5 % pour les ventes par l’artiste, 20,60 % pour celles des galeries –, encourage des détournements de trafic (ventes directes ou courtage) au détriment des galeries, avec toutefois l’atténuation que peut permettre le calcul forfaitaire de la marge.

Le fonctionnement des garanties légales et réglementaires est aussi inégal et devra être revu. En matière d’authenticité, les négociants sont en première ligne, tandis que les commissaires-priseurs ou les experts peuvent s’abriter derrière les circonstances ou le vendeur originaire. La responsabilité des commissaires-priseurs et des experts résulte en effet  d’obligations de moyens et ne peut donc être engagée qu’en cas de faute caractérisée ; celle des marchands joue même en l’absence de faute. Ainsi le litige pour défaut d’authenticité d’une œuvre vendue, s’il ne peut être réglé à l’amiable, se résoudra-t-il le plus souvent par l’annulation de la vente, dont les conséquences pèsent sur le vendeur, en particulier le marchand, mais épargnent le commissaire-priseur ou l’expert, simple mandataire ou prestataire de service.

Tout le marché français en souffre
Le code civil consacre un déséquilibre identique en cas d’éviction, notamment pour les objets volés, et pousse à l’achat en ventes publiques. En effet, l’achat aux enchères permet à l’acquéreur, en cas de revendication d’un objet volé, de demander au propriétaire légitime le remboursement du prix payé (art. 2280 du c.c.). Mais cette disposition ne joue pas si l’achat est fait à des particuliers, premiers fournisseurs des marchands.

Globalement, la disparité des règles, reflet normal de situations différentes, mais aussi expression du pouvoir de "lobbying" des commissaires-priseurs, joue en défaveur des marchands et a contribué à les affaiblir. Tout le marché français en souffre. L’émiettement corporatiste de l’interprofession nationale l’empêche en effet de s’exprimer efficacement à Bruxelles, où tout se joue. L’efficacité impose de restaurer les solidarités professionnelles.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°34 du 1 mars 1997, avec le titre suivant : Des solidarités à rétablir

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