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Le 20e anniversaire de Beaubourg : commémoration et régression

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 1 mars 1997 - 714 mots

Le vingtième anniversaire du Centre Georges Pompidou, à la veille de sa fermeture à la fin de l’année, est à la fois marqué par une régression aussi étrange que problématique et une vision sinistre du futur muséal.

PARIS. Les commémorations, dont la République Française est prodigue, obligent à des exercices difficiles : concilier un impératif institutionnel (le jubilé du Musée national d’art moderne/Mnam et la création, voici vingt ans, du Centre Georges Pompidou) et les nécessités du présent. Directeur d’un musée qu’il devrait quitter prochainement, Germain Viatte n’a pas voulu céder à la formule du bilan qui, d’habitude, permet de s’abriter derrière le paravent plus ou moins efficace de l’objectivité. Inutile alors de dresser la liste des absents et des présents qui auraient pu à bon compte ne pas figurer ici. En proposant un panorama thématique de l’art en France depuis cinquante ans à travers les collections du Mnam, Germain Viatte a multiplié les risques et s’est exposé à des critiques a priori faciles. Ce qui, pourtant, ne veut pas dire que les risques soient assumés comme tels, ni que les critiques soient dépourvues de fondement.

Stratégie de repli
Ces vingt dernières années, les institutions françaises sont peu à peu sorties d’une certaine torpeur provinciale pour s’ouvrir à une situation internationale. Cette indispensable curiosité a produit des effets patents et modifié en profondeur la création contemporaine hexagonale. Dans ce contexte, le Centre Georges Pompidou a joué son rôle : au seuil de sa maturité, il est pour le moins paradoxal que, loin de proposer un bilan, il offre une vision régressive et pave à nouveaux frais la voie désuète d’une École de Paris dont on n’attendait certes pas la résurrection. On ne retrouve pas seulement en quantité dans cet accrochage les tenants "historiques" de cette école (Poliakoff, De Staël, Estève…), mais surtout la même perspective académique et le même nationalisme complexé qui prévalaient alors. "Made in France" accorde une place anecdotique aux artistes étrangers vivants sur les bords de la Seine ou de la Loire. À l’instar de Riopelle ou Barceló, il semble qu’ils aient été choisis en fonction de leur intégration sans heurts dans le paysage national. Le risque polémique est abandonné sitôt énoncé, et la supposée confrontation tourne court pour laisser le champ libre à une vision conformiste de la peinture. Il est vrai que le quatrième étage, réaménagé par Gae Aulenti, montre ses limites ou plutôt son caractère normatif, basé sur une esthétique des années cinquante. Difficile en effet d’y accrocher installations ou sculptures monumentales.

Cryoconservation
Même si un immense Georges Mathieu a pu trouver une place d’honneur, l’unité de base reste le tableau de chevalet. Elle dicte une conduite prudente, et rien de ce qui l’excède ou la met en crise ne trouve sa place. De parcimonieuses concessions sont faites à la mode comme pour mieux exclure les questionnements dont cette exposition aurait dû montrer la pertinence et la persistance. L’art est ici exclusivement une histoire de goût qu’altère de temps à autre d’évidentes concessions institutionnelles. La confrontation des époques à la faveur d’un principe thématique aurait dû permettre d’éviter cet écueil. À condition toutefois d’accepter les contrastes et les conflits qui ne peuvent théoriquement manquer de surgir. Mais le choix prudent et passe-partout des thèmes (la splendeur, le rythme, la plénitude, le geste, la géométrie…) esquivait soigneusement cette ultime possibilité. Les valeurs aussi grandioses qu’éternelles qu’ils véhiculent sont à l’évidence impropres à rendre compte de la complexité et de l’inquiétude qui nourrissent l’art moderne. L’heure tourne à l’envers dans les salles de "Made in France". Sur la piazza, il s’agit de science-fiction. Le nouvel atelier Brancusi, qui n’a plus aucun rapport avec celui de l’impasse Ronsin, est peut-être la préfiguration de ce qui est désormais promis à l’art : une cryoconservation en bonne et due forme. La complicité des architectes et des hom­mes de l’art a abouti à la conception d’un mausolée qui résistera à toutes les injures du temps, préservant en son sein une œuvre dévitalisée et niée dans son essence.

MADE IN FRANCE : 1947-1997, jusqu’au 29 septembre, Centre Georges Pompidou, Paris, tlj sauf mardi 12h-22h, samedi-dimanche 10h-22h. Collectif sous la direction d’Agnès de la Baumelle et Nadine Pouillon, La Collection, Acquisitions 1986-1996, éditions du Centre Pompidou, 380 p., 360 F. jusqu’au 15 mars, 400 F. ensuite.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°34 du 1 mars 1997, avec le titre suivant : Commémoration et régression

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