De vrais-faux Rodin en procès

Les incertitudes de la définition de l’œuvre originale

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 4 avril 1997 - 502 mots

Guy Hain a interjeté appel de la décision du tribunal correctionnel de Lure le condamnant, le 28 février, à quatre ans de prison ferme et deux cents mille francs d’amende pour avoir \"fabriqué et vendu des tirages illicites\" de Rodin. Il a été incarcéré le 7 mars. L’audience devant la Cour d’appel de Besançon devrait avoir lieu avant l’été.

LURE - Depuis dix ans, le Musée Rodin, titulaire du droit moral du sculpteur, est en conflit avec Guy Hain, fondeur et marchand d’art, qui a fait exécuter et commercialiser des tirages de l’Âge d’Airain, du Baiser ou du Balzac nu, réalisés à partir de plâtres authentiques. Selon l’avocat du marchand, Me Olivier Metzner, ces tirages ont été effectués "en toute légalité", l’œuvre de Rodin étant tombée dans le domaine public depuis 1982. Quant au musée, l’acceptation du legs Rodin et son transfert dans ses murs l’autorisent à réaliser de nouveaux tirages "originaux" et des reproductions. Les seuls tirages originaux ont dégagé en 1995 un chiffre d’affaires de 45 millions de francs.

Le lent cheminement du contentieux s’explique par le flou entourant la notion d’original. Jusqu’en 1957 (loi sur la propriété littéraire et artistique), le nombre de tirages pour les fontes de sculptures n’était pas limité. Aujourd’hui, les règles applicables se déduisent davantage des dispositions qui, en classant les bronzes parmi les œuvres d’art originales, avec une limite de 8 4 exemplaires, leur permettent de bénéficier d’un traitement fiscal de faveur, au même titre que les autres productions artistiques. Par ailleurs, un décret de mars 1981, pris aux fins de réprimer les fraudes en matière artistique, impose la mention indélébile de "reproduction" pour les tirages qui ne seraient pas limités à 12 exemplaires. Ce décret classe les infractions dans les contraventions (tribunal de police), et non dans les délits (tribunal correctionnel). En définitive, l’"œuvre originale" ne fait pas l’objet d’une définition légale très claire.

Guy Hain ne s’est semble-t-il pas contenté de réaliser des tirages dans la fonderie qu’il a dirigée à Luxeuil-les-Bains. Il aurait aussi remplacé le poinçon de Georges Rudier par celui d’Alexis Rudier, le fondeur attitré de Rodin. Cette pratique pourrait constituer une violation de la loi de 1895 sur la falsification de signature en matière artistique qui, elle, est constitutive d’un délit passible de prison. Son avocat insiste cependant sur le fait que ces deux noms sont des marques commerciales légalement exploitées par son client.

Les commissaires-priseurs Mes Faure et Rey, de Rambouillet, qui ont écoulé plusieurs centaines de pièces provenant de cette filière, ont été mis en examen, puis relaxés. Le procureur de Lure, Clarisse Taron, a cependant interjeté appel de cette décision. D’autres pièces sont passées en ventes publiques à Paris. Ainsi, un Âge d’Airain a été adjugé par Mes Poulain et Le Fur à Christian Pellerin pour 3,5 millions de francs en 1989. Si le jugement est confirmé, le Musée Rodin se verrait attribuer environ deux cents pièces, parmi lesquelles de nombreux plâtres originaux. Guy Hain a déposé plainte contre le musée pour "escroquerie au jugement".

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°35 du 4 avril 1997, avec le titre suivant : De vrais-faux Rodin en procès

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