Van Dyck hisse le génois

Le séjour ligurien du peintre flamand

Le Journal des Arts

Le 4 avril 1997 - 763 mots

La capitale ligure rend hommage à Antoon Van Dyck, avant Londres et Anvers qui célébreront, en 1999, le quatrième centenaire de la naissance du peintre flamand. L’exposition redéfinit les liens qui ont uni l’artiste anversois à Gênes, où régnait, au XVIIe siècle, un climat artistique d’une rare vitalité. Susan Barnes et Piero Boccardo, deux des commissaires de l’exposition en expliquent le contenu et les enseignements : la première a consacré une thèse au séjour italien de Van Dyck et coorganisé avec Arthur Wheelock la rétrospective organisée à la National Gallery de Washington en 1990 ; le second est conservateur de la Galleria du Palazzo Rosso et de son Cabinet des estampes.

Piero Boccardo, quel rapport y a-t-il entre votre initiative et la commémoration prévue dans deux ans à Londres et à Anvers ?
Piero Boccardo : Cette exposition s’intéresse essentiellement à la période pendant laquelle Van Dyck vécut à Gênes, entre 1621 et 1627. Sans doute étions-nous les mieux placés pour étudier cette période et son influence sur l’évolution de sa carrière. Par ailleurs, à l’époque où nous avons décidé d’organiser l’exposition, la Royal Academy de Londres n’envisageait pas de monter une grande rétrospective mais de s’intéresser uniquement à quelques aspects spécifiques de la production de Van Dyck, et les Musées royaux d’Anvers avaient simplement émis le souhait d’accueillir l’exposition londonienne. Nous avons pu obtenir des prêts d’œuvres conservées dans le monde entier, mais à la condition que l’exposition ne soit pas itinérante.

Comment l’exposition est-elle articulée ?
Nous l’avons découpée en trois grandes sections. La première montre l’influence de Gênes sur Van Dyck ; la seconde présente la production de l’artiste dans la capitale ligure ; la troisième est consacrée aux autres peintres flamands qui séjournaient dans la ville à la même époque. Pour bien cerner le premier thème, nous nous sommes efforcés de reconstituer le climat artistique du temps, grâce à une étude de l’histoire des collections génoises et par des confrontations ponctuelles avec les écrits de Van Dyck, qui notait minutieusement ses observations sur les œuvres qu’il découvrait.

Quels enseignements avez-vous tiré de la préparation de l’exposition ?
Nous avons affiné la chronologie des portraits, alors que nous devions auparavant nous contenter de l’indication générale "1621-1627" pour toute la production de Van Dyck en Italie. Les éléments pris en considération pour ce travail de datation ont été très nombreux. Ils nous ont notamment permis de préciser que les relations entre le peintre et la communauté génoise s’étaient établies dès avant son départ d’Anvers.

Susan Barnes, quelles ont été les premières impressions de Van Dyck en arrivant à Gênes ?
Susan Barnes : La première salle de l’exposition évoque précisément le choc qu’a dû éprouver Van Dyck devant la richesse des collections génoises, en particulier celle de Giovanni Carlo Doria, qui possédait plus de 1 600 tableaux, principalement de l’école vénitienne. La salle qui lui est consacrée comprend trente chefs-d’œuvre signés Caravage, Rubens, Procaccini, Gentileschi, Vouet, Strozzi… Dès sa sortie du palais ducal, le visiteur se trouvera plongé en plein centre historique de Gênes, demeuré très semblable à ce qu’il était en 1620 : palais et églises lui permettront d’apprécier l’impact que la cité a pu avoir sur le peintre. À quelques pas du palais, sur la piazza Matteoti, s’élève par exemple l’église Sant’Ambrogio, achevée au moment même où Van Dyck se trouvait à Gênes. Son architecture, due à Valeriani, en faisait à l’époque l’une des plus importantes églises d’Europe, sans compter les retables exécutés par Guido Reni et Simon Vouet, ainsi que les deux tableaux de Rubens qu’elle abrite.

Quelles ont été les conséquences du séjour italien de Van Dyck sur sa carrière ?
Rien moins qu’une transformation radicale de l’art du portrait. République dirigée par une oligarchie patricienne, Gênes était alors une espèce de cour sans souverain. Les Génois étaient avides de portraits formels de grandes dimensions, adaptés à celles de leurs vastes palais et proportionnels à l’estime qu’ils avaient d’eux-mêmes. Van Dyck, jeune peintre ambitieux et talentueux, était déjà persuadé qu’il fallait abandonner et remplacer les conventions du portrait à l’espagnole. Grâce aux commandes des Génois, il a réalisé des dizaines de portraits imposants, mais d’où le naturel n’est pas absent. L’artiste a ainsi imposé de nouveaux canons de la représentation aristocratique, respectés par la plupart des peintres qui lui ont succédé. Mais l’expérience génoise a également profondément modifié sa peinture d’histoire sacrée et profane, un aspect de sa production à redécouvrir.

VAN DYCK À GÊNES. LA GRANDE PEINTURE ET LES COLLECTIONNEURS, jusqu’au 13 juillet, Palazzo Ducale, piazza Matteotti 5, Gênes, tél. 10 56 24 40, tlj sauf lundi 9h-21h, catalogue publié chez Electa.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°35 du 4 avril 1997, avec le titre suivant : Van Dyck hisse le génois

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