L’art vivant en définitions

Cinq nouveaux livres sur la crise contemporaine

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 16 mai 1997 - 631 mots

Les débats sur la nature de l’art contemporain font rage. Selon des points de vue différents et avec des moyens et des ambitions inégales, cinq nouveaux livres paraissent sur le sujet.

La dite crise de l’art contemporain, qui a débuté selon les avis autorisés vers 1983, en est donc au stade de l’adolescence. Entre autres mérites, elle a suscité un intérêt nouveau, qui cependant doit parfois beaucoup à de mauvaises raisons, et a redonné l’envie aux éditeurs de se pencher sur la question, comme à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris de renforcer encore son activité éditoriale. Fruit d’un colloque qui s’est tenu dans ses murs en 1995, le présent recueil rassemble près d’une cinquantaine d’interventions, qui traitent aussi bien du nationalisme que des représentations "extra-occidentales", des sciences humaines, de l’enseignement, de la critique et de l’histoire. Autant dire que pas un aspect de l’art d’aujourd’hui n’est négligé. Ces actes souffrent des maux propres au genre : les déclarations d’intention côtoient les bilans expéditifs ; les synthèses de travaux en cours gardent un goût de trop peu ; les débats réduits à la portion congrue reflètent mal les enjeux réels. Manque aussi un appareil bibliographique qui aurait fait de cette somme un outil propre à éclairer les débats en cours et à éviter les redites. En dépit de ses réserves, on y trouve un bon témoignage sur les craintes des historiens de voir le présent leur échapper. Et on préférera sans hésiter une telle tentative aux essais qui, sans l’avouer toujours explicitement, prétendent offrir une synthèse complète des problèmes de fond de la modernité et de la contemporanéité.

Clichés et pédagogie
L’ouvrage de Suzi Gablik a été publié voilà plus de dix ans sous un titre anglais plus explicite que celui de sa traduction, Has modernism failed ? La réponse semble induite par la question. Mais le mélange de considérations naïves et de bon sens, d’anecdotes et d’analyses superficielles désormais datées, repousse le problème à côté de la plaque. On pourrait en dire autant du Petit traité d’Anne Cauquelin qui, à force de clichés consternants, obscurcit plus encore la question, avec un supplément de pédanterie. La perspective de Catherine Millet, qui répond au principe de la collection Dominos, se veut pédagogique. Mais elle n’évite pas les travers évoqués ci-dessus et entérine facilement des classifications et des définitions qui devraient être mises en cause avec une tout autre vigueur. À l’évidence, les historiens comme les critiques manquent encore de distance, dans tous les sens du terme, par rapport à leur objet. Au lieu d’intégrer ce défaut constitutif de l’écrit sur l’art vivant, ces ouvrages donnent au contraire le sentiment de vouloir l’enfouir pour préserver leur légitimité. Ce faisant, ils ouvrent le champ à des critiques beaucoup plus radicales. Dans l’avant-dernier (et le lecteur comprendra que ce n’est pas par hasard) chapitre de son livre d’entretiens, Jean Baudrillard réitère des critiques qui, exprimées dans Libération, firent beaucoup de bruit. Sur un modèle fétichiste, l’art ne vit selon lui que de sa propre mort dans le Funeral Home que sont devenues les institutions. Couvert par des analyses parfois justes, le pessimisme sans fond de Baudrillard ne s’embarrasse pas de nuances : "[L’art] est trop nul pour être vraiment superficiel, et il est trop superficiel pour être vraiment nul." Jean Baudrillard n’est-il pas trop profond pour être fin ?

- Collectif, Où va l’histoire de l’art contemporain ?, coédition L’image/École nationale supérieure des beaux-arts, 496 p., 180 F.
- Anne Cauquelin, Petit traité d’art contemporain, éditions du Seuil, 192 p., 130 F.
- Suzi Gablik, Le modernisme et son ombre, éditions Thames & Hudson, 176 p., 125 F.
- Catherine Millet, L’art contemporain, éditions Flammarion, 128 p., 39 F.
- Jean Baudrillard, Le paroxyste indifférent, entretiens avec Philippe Petit, éditions Grasset, 216 p., 105 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°38 du 16 mai 1997, avec le titre suivant : L’art vivant en définitions

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