Du contemporain chez les Médicis ?

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 16 mai 1997 - 1216 mots

Plusieurs personnalités du monde de l’art, en Italie et à l’étranger, ont accepté de répondre aux trois questions ci-dessous, liées aux futurs aménagements des Offices et à la place de l’art contemporain en Italie.

1. Le Musée des Offices doit-il se limiter à la présentation de ses collections médicéennes ou s’étendre à la période contemporaine ?
2. Florence a-t-elle une attitude de rejet à l’égard de l’art contemporain ?
3. Existe-t-il en Italie une approche commune de la question de la présentation de l’art contemporain dans les musées ?

Reinhold Baumstark, directeur du Bayerisches Nationalmuseum de Munich
1. D’un simple point de vue historique, j’estime que les Offices ont une vraie personnalité, à l’image d’autres musées européens tels que le Louvre, le Prado, l’Alte Pinakothek de Munich, la Gemäldegalerie de Dresde… En règle générale, je ne suis guère favorable à des orientations qui altèrent par trop le caractère de telles institutions, même si certaines d’entre elles, comme le Metropolitan ou l’Ermitage, exposent des œuvres d’art moderne. Je suis partisan d’une solution intermédiaire, comme la construction d’un nouveau bâtiment qui puisse accueillir les collections les plus récentes. Cela éviterait qu’elle soient perçues comme des rajouts, comme des corps étrangers au noyau du musée.
2. L’antique passé et l’héritage de Florence pèsent assurément sur son destin. Cela ne signifie pas qu’elle doive se désintéresser de la création contemporaine.
3. Je dirais que oui, même si nous autres, étrangers, sommes souvent surpris par les nouveaux musées et les aménagements muséographiques extrêmement modernes que l’on rencontre en Italie. Je me souviens encore de mon émerveillement lors de ma première visite du Musée de Castelvecchio, à Vérone.

Giorgio Bonsanti, surintendant à l’Opificio delle Pietre Dure de Florence
2. Le lien entre Florence et la contemporanéité s’est dissout dans les années cinquante et au début des années soixante. Nous ne sommes jamais parvenus à le rétablir. Peut-être est-ce dû aux carences de la municipalité ou à l’absence de conditions économiques appropriées, voire parce que cette dimension est complètement absente de l’université. Les édiles devraient adopter une attitude résolument incitative à l’égard de l’art d’aujourd’hui. Contrairement à Bologne, Milan ou Turin, Florence manque cruellement d’un musée ou d’un centre d’art contemporain qui présente des collections du XXe siècle tout en menant une politique d’expositions et d’acquisitions. Je suis très attentif au projet d’installation d’un musée d’art contemporain dans une ancienne manufacture textile de Rifredi, un quartier périphérique de Florence.
3. Nos collections publiques sont enfermées dans des limites historiques : à ce cadre "fermé", il faudrait substituer un cadre "ouvert" qui puisse intégrer les prolongements actuels de la création plastique. Néanmoins, alors que les initiatives étaient aussi sporadiques qu’isolées il y a encore quelques années, l’intérêt pour le contemporain se développe aujourd’hui dans les musées italiens. Tout le monde a en tête l’exemple du Musée de Capodimonte de Naples : Nicola Spinosa a réussi à y aménager des espaces pour l’art d’aujourd’hui qui lui permettent de se lancer dans une aventure que d’autres avaient tentée avant lui sans succès.

Sandro Chia, artiste
Chronologiquement, les Offices sont le premier musée d’art moderne et contemporain au monde. La question qui se pose aujourd’hui n’est pas celle de son "actualisation" mais du devenir même de l’art italien, qui doit éviter les pathétiques tentatives d’adaptation, superflues, tardives et inévitablement ridicules. Dans d’autres pays, l’art et les musées sont considérés et traités comme un formidable outil au service de l’"identité citoyenne", même si, de temps à autre, le sens des œuvres présentées nie expressément toute idée d’identité ou de civisme. Il n’y a pas de musées d’art moderne en Italie, et encore moins de musées d’art contemporain. Retards et lacunes sont pratiquement irrémédiables, en particulier dans le domaine des acquisitions. Ainsi, les musées qui existent dans ces domaines sont insignifiants au niveau international, contrairement à l’audience des artistes italiens.

Neil MacGregor, directeur de la National Gallery de Londres
1. Je ne pense pas que les Offices doivent s’ouvrir à l’art contemporain, dès lors que cette décision nécessite un autre type d’aménagement.
2. Non, mais un musée consacré au XXe siècle serait le bienvenu.
3. Moins que dans la majeure partie des autres pays européens.

Pierre Rosenberg, président-directeur du Musée du Louvre
1. Les questions liées à l’avenir des Offices sont tellement spécifiques à ce musée qu’il est très difficile de donner une opinion. Avant toute chose, il faudrait déjà s’attaquer à tous les problèmes liés à l’importance des collections actuelles. Cela dit, je citerai le cas du Musée national d’art moderne (Mnam) au Centre Georges Pompidou : je pense que tout visiteur mesure combien il serait nécessaire de disposer de deux musées différents, l’un pour l’art moderne, l’autre pour l’art contemporain.
2. Je ne pense pas. Nous savons tous que les jeunes sont très attachés à l’art moderne. En me fondant sur la situation en France et aux États-Unis, je dirais que d’une certaine façon, l’art moderne mène à l’art ancien. Même si la situation est différente en Italie, je me demande néanmoins si l’énorme production éditoriale qui caractérise ce pays aujourd’hui, notamment en matière de peinture impressionniste, n’aboutira pas au même résultat.

Paolo Viti, directeur des activités culturelles du Palazzo Grassi de Venise
1. Avant de songer à présenter des œuvres d’époques différentes, il me plairait de voir toutes les œuvres du musée mises en valeur. Pour le reste, il existe des musées spécifiques. Le Metropolitan Museum à New York couvre presque toutes les périodes de l’histoire de l’art, mais les visiteurs n’y viennent pas pour l’art moderne. Pour ce faire, ils visitent plutôt le Museum of Modern Art (MoMA) ou d’autres institutions de ce type. Selon moi, ce qui crée la différence, c’est la richesse de ce que l’on fait voir.
2. Je ne sais pas. À l’évidence, Florence, tout comme Venise, est comme écrasée sous le poids d’un héritage merveilleux, magique même. Dans ces conditions, il est bien naturel que ce passé conditionne son avenir.
3. Non, parce que nous sommes pauvres en art moderne et contemporain, un peu en raison du poids du passé millénaire déjà mentionné. En Italie, accablé par la nécessité de gérer ce patrimoine énorme, avec des moyens insuffisants, l’État n’a pu consacrer à l’art moderne et contemporain toute la place souhaitable. Mais essayons de nous situer dans le contexte européen : nous avons des atouts, les autres pays en ont d’autres. Il serait bon de trouver des équilibres entre les divers patrimoines artistiques européens.

Federico Zeri, historien de l’art
1. Il ne faut pas continuer à enrichir les collections des Offices en art contemporain. Ce serait un choix tout à fait erroné qui dénaturerait le caractère même du musée. Et puis, que mettre dans la section moderne ? Guttuso ? Certes, il y a eu la donation Burri : mais qui va aux Offices pour voir Burri ? C’est le travail des musées d’art moderne, ailleurs.
3. Il est certain que l’Italie s’intéresse à l’art contemporain, aussi bien du côté des collectionneurs que des musées, dont certains sont très importants, comme la Galleria nazionale d’Arte moderna à Rome. Mais sans politique d’acquisition, à quoi servent ces derniers ? Pour prendre un exemple, pourquoi la grande Naissance de la cité de Boccioni est-elle partie au MoMA de New York après être restée un an dans les réserves de la Galleria d’Arte moderna ? L’important n’est pas tant de disposer de musées mais d’acheter des œuvres d’importance qui finiront tôt ou tard dans une collection publique.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°38 du 16 mai 1997, avec le titre suivant : Du contemporain chez les Médicis ?

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