Bas les masques à La Havane

Les jeunes artistes cubains stigmatisent le régime

Le Journal des Arts

Le 16 mai 1997 - 428 mots

Jusqu’au 8 juin, la VIe Biennale de La Havane se fait l’écho du goût du travestissement qui caractérise l’art cubain des années quatre-vingt-dix. Les œuvres des jeune artistes qui y sont présentées font fréquemment appel à un vaste éventail de métaphores, de personnages de fiction et de parodies acerbes pour dénoncer un régime qui reprend d’une main ce qu’il donne de l’autre.

LA HAVANE. Pour sa sixième édition, la Biennale de La Havane accueille 160 artistes d’Amérique latine, d’Asie, d’Afrique, des Caraïbes et, pour la première fois, d’Europe, comme Bill Woodrow, Bernardi Roig, Flavio Pons et Christian Boltanski. Le thème central, "L’Individu et sa Mémoire", a été choisi en référence à la défense de l’identité culturelle. L’exposition principale est organisée au Centro Wifredo Lam, tandis que d’autres expositions "satellites" sont présentées dans différents musées et monuments de la ville. Le catalogue de la biennale a été publié grâce à des fonds du gouvernement français, qui a insisté pour qu’il soit imprimé en espagnol et en français, mais pas en anglais. Ce soutien peut s’interpréter, du moins en partie, comme un échange de bons procédés : la France a en effet obtenu le droit de procéder au forage des réserves de pétrole de l’île, au terme d’une rude compétition qui l’a opposée au Royaume-Uni.

Migration et combat social
Le cynisme affiché par les jeunes artistes cubains a été accueilli avec une certaine réticence par la précédente génération, qui les a affublés du sobriquet de "génération jineta" : en argot cubain, ce terme désigne la prostitution, omniprésente sur l’île… Les œuvres de Pedro Alvarez, choteista suprême – on appelle choteo une forme d’humour noir cubain particulièrement caustique – mêlent des caricatures de Criollo, des slogans politiques et des biens de consom­mation américains, peints avec un détail et une rigueur très académiques. Avec leurs installations vives et colorées, les peintres Esterio Segura et Reinero Tamayo tournent en dérision les sculptures et les autels baroques sud-américains. Dans une ironique tentative de dénonciation de la stagnation du marché de l’art cubain, le groupe Los Carpinteros (Alexan­dre Arre­chea, Marcos Castillo et Dagoberto Rodriguez) a conçu divers scénarios ludiques, à l’image de cette commission imaginaire, déléguée à la peinture, placée sous l’égide d’un mécène américano-cubain. Sans surprise, le thème de la migration s’impose inévitablement dans un grand nombre des œuvres exposées : les radeaux de fortune de Kcho (Alexis Leyva), les valises défraîchies de Sandra Ramos, les boomerangs d’Abel Barroso et les photographies de plages désertes de Manuel Piña. Si la révolution est sans doute terminée à Cuba, les artistes restent, eux, à l’avant-garde du combat.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°38 du 16 mai 1997, avec le titre suivant : Bas les masques à La Havane

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