La Mission du patrimoine photographique ouvre l’Hôtel de Sully à la froidure en présentant une intéressante exposition sur la conquête (ou les tentatives de conquête) des pôles. Sans exhibition de chefs-d’œuvre ni de \"grands photographes\", un usage ordinaire de la photographie la place à son juste niveau dans la découverte du monde. Où une exposition peut être servie par la rareté du matériau.
PARIS. Après l’échec de l’expédition Andrée pour l’exploration arctique en ballon, en 1897, on retrouva les corps de tous les participants, en 1930, avec les pellicules photographiques illustrant leurs difficultés. Cet épisode d’une – malheureuse – alliance du froid et de la photographie pour "geler" le souvenir rend compte également de son impact, encore ignoré, dans les activités de connaissance. Dès 1857, l’intrépide Miot photographie des icebergs à Terre-Neuve, et tous ses successeurs se muniront prudemment de ce commode instrument d’enregistrement. Mais il y a là comme un paradoxe et une gageure, le blanc uniforme étant par définition peu seyant en photographie ; et c’est aussi ce contournement de toutes les difficultés qui rend l’exposition passionnante, comme une approche de limites territoriales, techniques ou humaines (avec des tirages pour la plupart originaux). Les motivations sont variées, de l’"art expedition to Greenland" du peintre Bradford en quête de modèles, en 1869, à divers aristocrates désœuvrés – Louis Amédée de Savoie, Albert Ier de Monaco – et à Charcot – au pôle Sud avec le Français, puis le Pourquoi pas ? –, on relève la même fascination pour des éclats de lumière indomptables, pour des éléments menaçants et pour les silhouettes lointaines et perdues des hommes ou des bateaux pris par les glaces. On y perçoit partout une attente anxieuse – vues d’intérieur du poste Charcot – et l’attrait pour les populations éventuellement rencontrées : Lapons du prince Roland Bonaparte en 1884 ; expéditions de Paul-Émile Victor en 1934-1936 et ses plaques de projection ; Jean Malaurie en 1963. Devenus aujourd’hui plus accessibles, les continents arctique et antarctique n’en sont pas moins aux marges du monde, objets imaginaires d’une exigence photographique par laquelle on veut, au sens propre, être ébloui. Heureusement, l’exposition nous fait grâce des poncifs de la mode et de la publicité, pourtant très friands d’exploitation des marges, en déclinant le sujet avec des travaux motivés essentiellement par l’action photographique : Bernard Descamps et Lynn Davis, en 1988 ; Marc Deneyer, en 1994.
LA CONQUÊTE DES PÔLES, PHOTOGRAPHIES DE 1855 À NOS JOURS, jusqu’au 8 juin, Hôtel de Sully, 62 rue Saint-Antoine, 75004 Paris, tél. 01 42 74 47 75, tlj sauf lundi et JF 10h-18h. Catalogue, éditions du Patrimoine, 145 F.
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Les photographes du froid
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°39 du 30 mai 1997, avec le titre suivant : Les photographes du froid