Art moderne

Léger dans son siècle

Plus de deux cents œuvres au Centre Georges Pompidou

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 30 mai 1997 - 631 mots

PARIS

Saturée de couleurs, habitée d’ouvriers et d’acrobates, de danseurs et de mécaniciens, l’œuvre de Fernand Léger est une célébration enjouée du monde moderne. Plus de deux cents peintures et dessins sont réunis au Centre Georges Pompidou pour une Grande Parade d’un art sans inquiétude.

PARIS. Fernand Léger occupe, dans le panthéon moderne, une place inexpugnable. Imprégné de la leçon cézannienne, inconditionnel du Douanier Rousseau, compagnon de route des cubistes, des futuristes, de la Section d’Or, proche de Blaise Cendrars, il fut le patron d’un mouvement qui n’exista jamais, l’éphémère et volatile "Tubisme". Indépendant, habité par un solide bon sens, plus concerné par la rue que par le musée, il est l’une de ces figures débonnaires qui semblent capables de toutes les réconciliations. Les oppositions tranchées qui ont marqué l’histoire des avant-gardes n’ont pas lieu d’être dans son œuvre. Pour lui, le monde est moderne bien avant l’art : ses orientations plastiques, alors, sont naturellement issues de cette réalité. Et rien ne l’empêche de trouver de la beauté dans une "culasse de 75 ouverte au soleil".

"La réalité de demain"
La guerre, il est vrai, a constitué dans la vie et l’œuvre de Fernand Léger une rupture cruciale. Mobilisé dans le génie dès le mois d’août 1914, gazé près de Verdun en 1917, hospitalisé et réformé la même année, c’est un autre homme qui reprend son métier à la Libération. Comme l’écrivait Pierre Descargues dans un livre que rééditent aujourd’hui les éditions du Cercle d’art* : "[Le peintre] d’avant-guerre cherchait simplement à s’exprimer, à traduire une ardeur qu’il sentait bouillonner en lui. Il ne donnait qu’une équivalence plastique de lui-même. Celui qui revenait de Verdun allait se faire consciemment le poète du monde moderne". Et fidèle à la leçon d’Apollinaire, qui demandait que l’on ne pleure pas sur les horreurs de la guerre, Léger y fortifie sa vision de la peinture qui va désormais être irradiée par la couleur et peuplée de figures. La Partie de cartes (1917, Kröller-Müller Museum, Otterlo), qui figure bien entendu dans cette rétrospective, peut être vue comme un nouveau départ. L’abstraction ne saurait pour lui être un dogme auquel il faudrait impérativement souscrire. Elle est une possibilité du langage parmi d’autres et ne doit pas faire obstacle au passage essentiel entre l’art et la vie ou, pour le dire avec ses propres mots, entre le Salon d’automne et le Salon de l’aviation. Les soldats, les acrobates, les mécaniciens, les plongeurs, les constructeurs, les musiciens, les saltimbanques, les acteurs de la Grande Parade vont se déployer dans le décor en perpétuelle mutation d’un monde dont il renouvelle les promesses. Pour autant, Léger est loin d’être un idéaliste naïf : "J’ai la certitude, écrivait-il, que nous ne sommes pas dans des prophéties nuageuses ; nous touchons de très près la réalité de demain. Nous devons réaliser une société sans frénésie, calme, ordonnée, sachant vivre naturellement dans le Beau, sans exclamations ni romantisme." Organisée par Isabelle Monod-Fontaine sept ans après celle de Villeneuve-d’Ascq, cette rétrospective permettra d’apprécier l’actualité de cette peinture enjouée. Les peintures essentielles y seront présentées, en particulier Nus dans la forêt, La Femme en bleu, L’Escalier de 1913, Le Grand déjeuner, les Plongeurs sur fond jaune de 1941. Quatre séries de dessins donneront la mesure des inventions graphiques de Léger, et une section documentaire évoquera entre autres ses activités théâtrales. Cette même exposition sera ensuite présentée au Centro de Arte Reina Sofía de Madrid à partir du 28 octobre et, dans une version restreinte, à partir du 11 février au Museum of Modern Art de New York.

FERNAND LÉGER, RÉTROSPECTIVE, du 29 mai au 29 septembre, Centre Georges Pompidou, tlj sauf mardi 12h-22h, samedi-dimanche 10h-22h. Cata­logue sous la direction de Christian Derouet dans la collection "Classiques du XXe siècle", éditions du Centre Pompidou, 360 p., 320 F.

* Pierre Descargues, Fernand Léger, éditions Cercle d’Art, 178 p. Outre le catalogue, le Centre Georges Pompidou publie également un hors série : Fernand Léger, une correspondance d’affaires, 304 p., 200 F, et en réédite deux autres : Fernand Léger, une correspondance en poste restante (édition augmentée), 206 p., 150 F ; Fernand Léger, une correspondance de guerre, 110 p., 110 F. Le Magazine des expositions, de son côté, consacre 16 pages aux tableaux clés de l’exposition, 18 F.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°39 du 30 mai 1997, avec le titre suivant : Léger dans son siècle

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