Une rénovation conceptuelle signée Ibos et Vitart

Le Journal des Arts

Le 30 mai 1997 - 653 mots

Avec la rénovation et l’extension du Palais des beaux-arts de Lille, Jean-Marc Ibos et Myrto Vitart, jeunes architectes ayant fait – avec éclat – leurs classes chez Jean Nouvel, livrent leur première réalisation d’importance. Respectant fidèlement l’inspiration conceptuelle et avant-gardiste de leur ancien mentor, leur projet offre l’occasion d’entrouvrir, dans le domaine de l’architecture, le débat sur l’art contemporain.

LILLE. Il ne fait aucun doute que Jean-Marc Ibos et Myrto Vitart ont admirablement compris le B.A.-Ba de l’art contemporain, lequel peut se résumer au désormais bien connu scénario de la "fin de l’art" : l’art – de l’architecture, en l’occurrence – étant mort et achevé, ne nous resterait que son spectre conceptuel, sorte d’ectoplasme fantomatique qui reviendrait rôder, tel un malfrat autour de son forfait, dans les ruines de sa splendeur passée. La rénovation et l’extension du Musée des beaux-arts de Lille était certainement le "théâtre" le plus approprié pour mettre en scène un tel programme : monument d’architecture néoclassique bâti à la fin du dix-neuvième siècle, son emphase semble traduire physiquement les derniers spasmes de l’art architectural, libérant de ses sombres viscères quelques somptueuses illustrations d’une jeunesse dorée, quoique déjà sourdement inquiète : là un Véronèse (Le Paradis), ici un Rubens (Descente de Croix), côtoient les Jeunes, puis... les Vieilles de Goya, tandis qu’une Vanité de van Hemessen anticipe narquoisement notre morbidité contemporaine sur le ton du "Je vous l’avait bien dit !". De cette mort annoncée, Ibos et Vitart ont donc fait leur parti. De l’ancien Palais des beaux-arts, ils n’ont gardé que la carcasse, qu’ils ont nettoyée jusqu’à n’en laisser que les os blanchis. Pour la rénovation de l’ancien bâtiment, leur parti consiste essentiellement dans le "rien" qu’ils se sont efforcés de rendre partout visible en réduisant leur intervention à la stricte découverte de l’édifice préexistant. Pour sa modernisation, ils se sont contentés de reprendre les conventions muséales les plus convenues : fond rouge sang ou blanc rosé couleur chair pour mettre en valeur les œuvres.

Vitrages sertis de "points miroirs"
S’étant assurés que le cadavre de l’architecture ancienne était bien mort, leur restait pourtant la mission de le faire revivre pour concevoir la nouvelle extension, mais forcément sur un mode paradoxal, puisque seule une "non-architecture" est susceptible de ressusciter une architecture morte : c’est ainsi qu’ils proposent sur le terrain disponible en vis-à-vis de la façade arrière, un "bâtiment-lame", double conceptuel du bâtiment d’origine abritant l’administration du nouveau musée, dont la façade aux vitrages sertis de "points miroirs" renvoie l’image impressionniste du Palais des beaux-arts. La rhétorique de la non-architecture se poursuit à travers une galerie d’actualité souterraine reliant l’ancien au nouvel édifice. Celle-ci est éclairée par une grande verrière horizontale, sorte de gigantesque œil enterré qui, dessinant un grand carré dans l’espace laissé libre entre les deux bâtiments (destiné à accueillir ultérieurement un jardin de sculpture), offre une spectaculaire vue en contre-plongée sur le vis-à-vis des deux façades. Le parcours souterrain se termine dans un espace entièrement noir et très bas de plafond – créé par excavation à l’aplomb de l’atrium de l’ancien Palais – qui, telle une crypte ésotérique, est destiné à accueillir les fameux plans-reliefs des villes fortifiées par Vauban. Afin de mieux rendre perceptible la structure spéculaire de leur dispositif architectural, Ibos et Vitart ont choisi de le relayer par quelques installations d’artistes contemporains qui s’opposent aux œuvres du musée comme l’"anti-art" s’oppose à l’"art". La principale, conçue par l’Italien Giulio Paolini, occupe l’atrium avec une série de quarante-huit cubes de verre, sur la face supérieure desquels est reproduit le plan... de l’atrium. Intitulée Exposition universelle, elle entend faire découvrir au visiteur l’espace d’exposition dans lequel il se trouve déjà. Si intelligemment réglé qu’il soit, ce jeu conceptuel laisse apparaître une impression de sécheresse inéluctable, qui redonne ironiquement un semblant d’innocence à la mécanique architecturale académique de l’ancien Palais. Ironie dont il est cependant bien difficile de deviner si elle est intentionnelle, nécessaire ou symptomatique.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°39 du 30 mai 1997, avec le titre suivant : Une rénovation conceptuelle signée Ibos et Vitart

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