Drôles de philanthropes

Plusieurs musées américains se sont fait escroquer

Le Journal des Arts

Le 13 juin 1997 - 675 mots

La Foundation for New Era Philantrophy (Fondation pour une philanthropie nouvelle) est à l’origine de la plus importante escroquerie dans le domaine du \"charity business\" américain. Son ancien président risque 907 années d’emprisonnement et 28 millions de dollars d’amende.

PHILADELPHIE. Entre 1989 et 1995, plus de 354 millions de dollars d’investissements ont été soustraits à diverses associations éducatives, caritatives, culturelles et autres organismes à but non lucratif à qui la Foundation for New Era Philantrophy avait promis de doubler le montant de leur mise de fonds en six mois. Un groupe de riches bienfaiteurs souhaitant garder l’anonymat était censé financer des bourses d’un montant équivalent aux apports des donateurs, selon le principe des matching grants. Soi-disant connus du seul président de la fondation, John G. Bennett Jr., ces mystérieux mécènes n’existaient pas : la fondation payait les investisseurs précédents  avec les nouveaux dépôts, selon un classique système pyramidal. Le scandale a éclaté au mois de mai 1995, quand le courtier de John Bennett a voulu saisir les biens de ce dernier pour couvrir un débit de 45 millions de dollars. Les autorités fédérales sont alors intervenues pour mettre un terme aux activités de la fondation, et 154 créanciers se sont tournés vers les tribunaux pour recouvrer des pertes de plus de 130 millions de dollars. Au mois de septembre 1996, John Bennett a été inculpé de 82 délits : escroquerie, blanchiment d’argent, fraude fiscale… En mars de cette année, il a plaidé coupable tout en cherchant à se disculper en arguant qu’il souffrait de troubles mentaux consécutifs à deux accidents de voiture. Selon lui, sa conduite ne serait pas motivée par l’appât du gain mais serait l’effet de la "mission divine" dont il se sent investi depuis. Mais alors, a demandé un plaignant, pourquoi John Bennett, après avoir déposé la modeste somme de 29 000 dollars sur ce qu’il appelait le "compte de Dieu", a-t-il dépensé plus d’un million de dollars ? La sentence sera connue le 26 juin, mais John Bennett risque une peine de prison de 907 ans et une amende de 28 millions de dollars.

Un homme de bien !
Selon les informations du Chronicle of Philanthropy, plusieurs musées respectables se sont laissés abuser par les promesses de la fondation : parmi eux, la Pennsylvania Academy of Fine Arts, l’Academy of Natural Sciences, le Franklin Institute et le National Museum of American Jewish History, tous de Philadelphie, ainsi que le Detroit Institute of Arts. Parmi les autres victimes, l’université de Pennsylvanie, le Phila­delphia Orchestra, l’université de Princeton et le Haverford College de Philadelphie. À leur insu, des philanthropes aussi éminents que Laurence S. Rockefeller et l’ancien secrétaire au Trésor William E. Simon ont été recrutés comme "bienfaiteurs" anonymes. La plupart des organismes – dont plusieurs musées – ont accepté de restituer une partie des fonds qu’ils avaient perçus, et les créanciers ont déjà recouvré 50 % de leur mise. Après la conclusion du procès, ils devraient avoir récupéré 85 à 90 % des fonds investis. Les institutions à but non lucratif, qui croyaient avoir enfin trouvé une solution à leur éternelle quête d’argent, ont été très affectées par cette escroquerie. Ainsi, le Detroit Institute of Arts s’était tourné vers la fondation en 1992, alors que son budget avait été ramené de 33 à 25,5 millions de dollars. Son directeur financier, William Neal, déclare avoir rendu visite à John Bennett, qui lui était apparu comme "un homme de bien, à l’esprit clair et au tempérament énergique". Les administrateurs du musée avaient également rencontré d’autres trustees de la fondation, s’étaient renseignés auprès d’investisseurs et des autorités de Philadelphie, avaient étudié le rapport d’audit et lu les articles enthousiastes du Philadelphia Inquirer sur la fondation. Certains administrateurs étaient tellement persuadés de la légalité de l’offre qu’ils avaient personnellement garanti l’opération. Quand la supercherie a été découverte, le Detroit Institute of Arts a accusé une perte sèche de 950 000 dollars. De son côté, la Pennsylvania Academy of Fine Arts a dû rembourser plus de 3 millions de dollars, l’Academy of Natural Sciences, 787 000 dollars, etc.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°40 du 13 juin 1997, avec le titre suivant : Drôles de philanthropes

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque