Les deux talents de Sargent

Portraitiste mondain et sens de la publicité

Le Journal des Arts

Le 4 juillet 1997 - 514 mots

Peintre au talent incontestable, doublé d’un génie de l’auto-promotion, John Singer Sargent est aujourd’hui tombé dans un relatif oubli, en raison même de son succès facile auprès de la bonne société parisienne et londonienne du début du siècle. À travers une sélection d’œuvres de jeunesse, le Sterling and Francine Clark Institute étudie l’énigme Sargent.

WILLIAMSTOWN. Brillant, raffiné, cosmopolite, aussi à l’aise, sinon plus, à Paris ou à Londres qu’aux États-Unis, l’artiste américain Sargent reste néanmoins en marge de l’histoire de l’art. Peut-être lui manque-t-il la profondeur taciturne d’un Thomas Eakins ou d’un Winslow Homer. Peut-être a-t-il paradoxalement souffert de son talent pour l’auto-promotion, digne d’Andy Warhol ou de Damien Hirst. Organisée par Marc Simpson, l’exposition du Clark Institute se concentre sur les débuts de John Singer Sargent, mettant en évidence l’art avec lequel il a su s’introduire dans la société "fin de siècle" de Paris et de Londres, à une époque où le talent seul n’assurait pas le succès. "À la fin du XIXe siècle, explique Marc Simpson, les expositions se multiplient, les clubs, les groupements d’artistes, les revues artistiques et les critiques fleurissent. Comment attirer l’attention dans ces conditions ? Sargent, premier Américain à aborder la question, a su parfaitement tirer parti du monde artistique. Cette exposition ne rassemble pas toutes les œuvres de jeunesse du peintre, mais seulement celles qu’il a voulu montrer : nous le présentons tel qu’il voulait apparaître. C’est pourquoi les Jardins du Luxembourg ne figurent pas dans l’exposition : à notre connaissance, il ne les a jamais présentés au public". Né à Florence en 1856 dans une famille américaine aisée, Sargent dispose d’emblée de nombreux atouts. Il passe son enfance à voyager en Europe et parle couramment italien, allemand et français. Son talent est reconnu très tôt, et après une année de cours réguliers à l’Aca­démie des beaux-arts de Floren­ce, il décide, en 1874, de se rendre à Paris, où il s’installe dans l’atelier de Carolus-Duran. Sur le plan artistique, il est d’une grande curiosité, étudiant l’œuvre de Manet, Bastian Lepage, Fortuny et Michetti. Les travaux les plus originaux de cette période sont ses vedute vénitiennes, rêveuses, pro­ches des compositions de Whistler. La période parisienne de Sargent atteint son apogée vers 1880-1885, avec une série de portraits magistraux : La Dame à la rose, Auguste Rodin, Madame X , et le fameux Portrait en intérieur du docteur Pozzi, qui montre le gynécologue parisien vêtu d’une inoubliable robe de chambre rouge. "Sargent décide alors de se rendre en Angleterre (…) Curieusement, il y est vite considéré comme le principal représentant de la peinture moderne, ou, pour reprendre les termes d’un critique britannique, "le grand maître de la technique de la touche jetée". Les deux portraits de Robert Louis Stevenson, ceux de Mrs Cecil Wade et de Mrs William Playfair, et Carnation, lily, lily, rose témoignent encore une fois de la facilité avec laquelle Sargent s’est introduit dans la société londonienne.

LA CARRIÈRE PUBLIQUE DU JEUNE JOHN SINGER SARGENT, jusqu’au 7 septembre, Sterling and Francine Clark Art Institute, 225 South Street, Williamstown, Massachusetts, tél. 1 413 458 9545, tlj 10h-17h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°41 du 4 juillet 1997, avec le titre suivant : Les deux talents de Sargent

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