Tableaux anciens : Sotheby’s l’emporte sur Christie’s

Musées et collectionneurs attachent de plus en plus d’importance à l’état de conservation des œuvres

Le Journal des Arts

Le 29 août 1997 - 926 mots

Guy Sainty a quitté Londres en 1979 pour ouvrir une galerie de maîtres anciens à New York. Il y présentera l’an prochain, avec le marchand londonien Patrick Mathieson, une grande exposition de natures mortes espagnoles. Il commente les ventes de maîtres anciens organisées à Londres par Sotheby’s et Christie’s, en juillet.

LONDRES. «Je m’attendais à ce que Christie’s ait les meilleurs résultats, mais leurs estimations trop hautes ont abouti à ce que 36 % des tableaux soient ravalés. Le total des adjudications, qui représente 14,7 millions de livres sterling, est donc inférieur à celui de Sotheby’s qui, pour 19,2 millions de livres, a vendu 70,7 % des œuvres présentées. Deux raisons expliquent ces résultats. D’une part, l’état problématique de la plupart des tableaux Heinemann a gêné la vente de Christie’s, bien qu’une publicité importante ait été faite avant les enchères. Ces œuvres, qui étaient proposées pour le compte de la Pierpont Morgan Library et de la National Gallery of Art de Washington, étaient typiques du goût d’une autre époque, quand l’état de conservation était secondaire pour les collectionneurs et les musées. En clair, plusieurs de ces tableaux étaient très endommagés et certains fortement restaurés. D’autre part, en même temps qu’elle créait l’événement avec un Hals et un Titien qui ont tous les deux largement dépassé le million de livres, Sotheby’s n’avait laissé aucune place aux mauvaises surprises. À l’exception du Titien, âprement disputé pour sa rareté, sa beauté et en dépit de son mauvais état, ces deux ventes, en suscitant un véritable engouement le jour des enchères, ont montré qu’un marché solide existait pour les œuvres de très grande qualité et pour les authentiques "découvertes". Sinon, alors même que la demande est très forte et les collectionneurs bien plus nombreux que pour les œuvres françaises ou italiennes, les tableaux hollandais doivent être en parfait état, avec un bon sujet, pour atteindre les prix les plus élevés.»

- Antonio Canaletto, Le Grand Canal vu du sud-est, estimé 1,5 à 2 millions de livres, vendu 2,3 millions de livres, Christie’s, 4 juillet.
Le sort réservé aux cinq Canaletto proposés reflète, de façon intéressante, l’état du marché. Si l’on considère à quel point ces œuvres sont courantes, elles semblent surestimées de prime abord ; mais leur facilité d’accès, leur charme ensoleillé, instantanément reconnaissable, les rendent extrêmement populaires. Cependant, leur qualité et leur état de conservation  varient considérablement, d’où de grandes fluctuations dans les prix atteints. Sans être au nombre de ses réalisations les plus délicates, Le Grand Canal vu du sud-est était en excellent état, avec un sujet très attirant. Les personnages sont trop petits et le ciel un peu trop gris, mais les détails de surface et les merveilleux reflets sont bien là. La toile a été acquise par téléphone, largement au-delà des estimations, par quelqu’un qui ignorait sans doute que plusieurs autres œuvres de cette qualité sont accessibles. Les marchands, s’ils avaient été seuls en concurrence, l’auraient achetée moins cher.

- Gerard Ter Borch, La leçon de musique, estimé 6 à 8 millions de livres, adjugé 2,75 mil­lions de livres, Sothe­by’s, 3 juillet.
Il ne reste plus qu’une poignée de scènes d’intérieur de ce peintre chez les collectionneurs, de sorte qu’elles sont beaucoup plus recherchées que ses portraits, plus communs. La leçon de musique, avec le lit dans l’angle et le parallèle subtil entre l’art de la musique et l’art d’aimer, a un sujet idéal. L’état est très bon, faute d’être merveilleux, avec une excellente provenance des collections Rothschild et Fattorini. C’est exactement le tableau que tout collectionneur sérieux de peinture hollandaise recherche. Il a pourtant été vendu bien en dessous de l’estimation à un acheteur resté anonyme, sur enchère téléphonique.

- Frans Hals, Saint Jean l’Évangéliste, estimé 300 à 400 000 livres, adjugé 1,92 mil­lion de livres, Sothe­by’s, 3 juillet.
Saint Jean l’Évangéliste a été l’une des véritables découvertes de la vente. Il s’agit en effet du panneau manquant d’une série de quatre ayant jadis appartenu à la Grande Catherine. Sa dernière apparition datait de 1812, à Odessa. Le tableau n’ayant pas d’autre provenance indiquée sur le catalogue, chacun peut tirer ses propres conclusions sur le parcours qu’il a suivi jusqu’à Londres. Superbement peint, avec tout le panache de la brosse fleurie de Hals, le sujet est loin d’être facile car cet artiste a réalisé peu d’œuvres religieuses, et les collectionneurs préfèrent ses portraits profanes. L’estimation de départ, très basse, a fait s’envoler la cote. La toile a finalement été achetée sur enchère téléphonique par Zimet, de la galerie new-yorkaise French & Co.

- Titien, Portrait d’un amiral vénitien en armure, estimé 100 à 150 000 livres, adjugé 1,21 million de livres, Sothe­by’s, 3 juillet.
Portrait d’un amiral vénitien en armure est le seul tableau dont la vente n’ait pas été gênée par un état de conservation problématique. Signé d’un autre artiste, il aurait été inacceptable. Mais les vernis volatils utilisés affectent tous les derniers Titien, d’une façon ou d’une autre. Les marchands et les collectionneurs sont donc beaucoup plus indulgents qu’avec un autre maître. Même si le personnage n’est pas identifié, le pouvoir de séduction de cette œuvre est remarquable, avec de merveilleux passages de peinture. Un restaurateur expert devrait pouvoir faire un excellent travail. C’est une œuvre entièrement autographe du Titien de la dernière période, plutôt rare. Elle a déjà été publiée, mais elle était inconnue du marché, et l’estimation de départ était si basse que les enchères ont été animées entre les marchands. Le tableau a finalement été acquis, pour un prix huit fois supérieur, par Zimet, de la galerie French & Co, tout comme le Hals.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°42 du 29 août 1997, avec le titre suivant : Tableaux anciens : Sotheby’s l’emporte sur Christie’s

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