Limites d’un festival

Les XXVIIIe Rencontres de la photographie d’Arles

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 29 août 1997 - 321 mots

Avec "éthique, esthétique, politique", les XXVIIIe Rencontres de la photographie d’Arles, sous la houlette de Christian Caujolle, avaient choisi un thème fort mais ambitieux.

ARLES. Sur la place centrale d’Arles, la chapelle Saint-Anne rassemble toutes les horreurs du monde. Dans le chœur se dresse La Réserve des Suisses morts de Christian Boltanski, dans les travées s’entrechoquent les cadavres de 14-18, le drame des enfants d’Izieu, les ruines de Nagasaki, le goulag soviétique, les massacres à Sarajevo, au Rwanda, en Tchétchénie, en Algérie… L’exposition phare des Rencontres, "Le Devoir de mé­moire", mêle judicieusement toutes les expressions de la photographie : documents d’archives, clichés d’amateurs, reportages (Gilles Peress, Paolo Pellegrin, Anthony Suau, AFP…), travaux personnels (Duane Michals), photographie "plasticienne" (Heiner Blum)… Rien ne semble avoir été oublié, ni dans le chapelet des drames, ni dans la vision que peut en donner l’image, et l’accrochage tire le meilleur parti du lieu. Pourtant, le visiteur ressort insatisfait. S’il a bien compris qu’il devait se souvenir, il a en revanche peu appris sur les conditions de réalisation des images, leur utilisation, l’engagement (?) des photographes, questions au cœur de ce festival. L’engagement signe le travail d’Eugene Richards. Militant antiraciste, il a été violemment agressé par les extrémistes du Ku Klux Klan. Sa vie, marquée aussi par le décès de sa femme d’un cancer dont il a photographié jour après jour le calvaire, ne peut qu’inspirer le respect. Mais il est tellement impliqué dans les drames que ses images désespérées, avant tout émotionnelles,  manquent de recul. Elles auraient pu ouvrir un débat sur les limites de l’engagement, la nécessaire distance que doit garder tout photographe, même s’il défend la cause la plus juste. Ces prolongements ont manqué, car Arles reste avant tout un festival, bien que son directeur artistique soit chargé de réaliser en un an un programme – une vingtaine d’expositions, quatre soirées de projections – dont les ambitions scientifiques visent celles d’institutions ou de musées.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°42 du 29 août 1997, avec le titre suivant : Limites d’un festival

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