Latitudes

Géographie sensible

La commissaire d’exposition Régine Cuzin réunit à l’Hôtel de Ville de Paris une dizaine d’artistes issus de départements et territoires d’outre-mer, mais aussi de Cuba ou du Panama

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 29 septembre 2009 - 643 mots

PARIS - Avec sa septième édition depuis 2002, « Latitudes 2009 », manifestation organisée à l’Hôtel de Ville de Paris, est la suite d’un travail de longue haleine, mené par une commissaire indépendante et tenace.

Régine Cuzin travaille en effet depuis plus de quinze ans avec des artistes issus des marges artistiques de l’Occident, Afrique, Caraïbes, selon une carte qui recoupe pour partie, à son point de départ du moins, la mémoire coloniale de l’Europe. Elle présentait dès 1994 à la Saline royale d’Arc-et-Senans (Doubs) « La route de l’art sur la route de l’esclave », où figurait entre autres, pour sa première exposition, George Adéagbo, l’artiste béninois qu’elle a longtemps accompagné et qui a mené ensuite une carrière brillante jusqu’aux grandes biennales. « La route de l’art… » était conçue comme une exposition itinérante, sur un principe de renouvellement et de relais des participants selon les étapes. Le projet prit fin en 2000, avec la disparition en mer au cours d’un transport de l’ensemble des pièces accumulées, à cause semble-t-il d’un délestage de conteneur sous la tempête dans le Triangle des Bermudes.

Réseau informel d’artistes
Le travail de Régine Cuzin s’est inscrit dans une sphère qui n’est à l’origine pas toujours celle de l’art, puisqu’il s’agit des réseaux diplomatiques, et des institutions locales. D’où une forme de marginalisation qui correspond aussi aux relations difficiles du monde de l’art avec les artistes non occidentaux. Mais d’où aussi la possibilité d’entretenir par ce principe de cheminement les rencontres entre des artistes et des territoires qui vont de la Polynésie à l’Amérique centrale et à Cuba, de La Réunion aux Caraïbes en passant par la Polynésie, constituant par la même occasion un réseau informel d’artistes. Ce sont d’ailleurs les services de l’outre-mer de la Mairie de Paris qui ont porté « Latitudes » depuis le début, avec une belle continuité même si les conditions budgétaires demeurent en deçà de celles des grands musées. À voir combien d’artistes passés par « Latitudes » – souvent pour l’une de leurs premières expositions – se sont imposés par la suite donne raison à cette tactique. Ainsi de ceux qui participaient à « Kréyol Factory », organisée au printemps dernier à la Grande Halle de la Villette (lire le JdA no 301, 17 avr. 2009). Le principe de « Lati-tudes » a changé depuis la première édition, se libérant du découpage géographique pour dessiner une cartographie bien plus ouverte. Avec l’édition 2009 et des artistes plus jeunes, les problématiques identitaires se sont élargies et sont portées par des langages ou des vocabulaires souvent justes. Entre histoire sociale et imaginaire singulier, la plupart des œuvres des dix artistes réunis ici évitent l’écueil de la démonstration. Sans doute le mur du groupe de grapheurs tahitiens Kreativconcept paraît-il un peu parachuté dans le décor municipal, vérifiant une nouvelle fois le porte-à-faux de cette pratique quand elle se fait objet d’exposition. La sculpture de fil du Cubain Duvier Del Dago, dessin dans l’espace qui joue à l’hologramme avec des bouts de ficelle, memento mori entre high- et low-tech, donne le ton d’inquiétude, joueuse malgré tout, qui traverse l’exposition. L’ironie qui habite l’univers graphique de Gabrielle Manglou (Réunionnaise qui vit à Paris) trouve son pendant dans la vidéo de Gilles Elie-Dit-Cosaque, Zétwal, et son écriture qui se réclame de la « créolisation ». Très marquant aussi, ce petit bout de film Super-8 de Humberto Velez, où un vieil athlète noir joue une parade troublante sur fond de canal de Panama. Ainsi, non sans quelques maladresses, « Latitudes » en est venu à décrire une géographie sensible sans équivalent.

LATITUDES 2009, jusqu’au 10 octobre, Hôtel de Ville de Paris, salle des Prévôts, salon des Tapisseries et parvis, entrée libre par le parvis de l’Hôtel de Ville et par le 3, rue Lobau le samedi, tlj sauf dimanche 10h-19h, www.latitudes-ocea.org et www.paris.fr. Catalogue, 2009, ISBN 978-2-9519425-6-1.

Latitudes 2009
Commissaire : Régine Cuzin
Nombre d’artistes : 10(dont un collectif)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°310 du 2 octobre 2009, avec le titre suivant : Géographie sensible

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