Chris Smith défend le marché de l’art londonnien

Un entretien avec le secrétaire d’État à la Culture britannique

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 12 septembre 1997 - 1026 mots

Chris Smith, le nouveau secrétaire d’État au Department for Culture, Media and Sport, dont l’intitulé vient de remplacer celui de Department of National Heritage, a accordé son premier entretien sur les arts plastiques à notre partenaire éditorial, The Art Newspaper. Il s’exprime sur la gratuité des musées, l’Heritage Lottery Fund (fonds de la Loterie pour la Culture) et les réformes qui pourraient affecter le marché de l’art londonien.

Que ferez-vous pour encourager les galeries et les musées à ne pas faire payer de droit d’entrée ?
Chris Smith : Je suis profondément attaché à la gratuité d’accès aux grandes collections nationales. Pour moi comme pour Neil MacGregor, le directeur de la National Gallery, la vocation d’un musée est de réunir la meilleure collection possible pour le bénéfice des plus pauvres comme des plus riches. J’étudie actuellement toute une série de mesures.

Les musées nationaux qui font payer un droit d’entrée peuvent récupérer la TVA, mais ceux dont l’accès est gratuit ne bénéficient pas de cet avantage. Seriez-vous disposé à proposer une modification de la fiscalité afin de supprimer cette incitation à faire payer l’accès aux collections ?
Je pense que j’aurais du mal à persuader le chancelier de l’Échiquier à ce sujet. Mais je suis conscient de cette anomalie. La question est inscrite à l’ordre du jour.

Que pensez-vous du financement par l’Heritage Lottery Fund des projets des grands musées ?
Pendant des années, les gens ont souhaité une augmentation importante des subventions pour les arts, ce que l’argent de la Loterie a rendu possible. Mais si l’on observe comment ces fonds ont été répartis, on constate que les bâtiments en ont profité plus que les personnes ou les activités. De nombreux édifices étant en assez mauvais état, cette priorité était sans doute justifiée au départ. Mais il est temps d’arriver à une répartition plus équitable. C’est pourquoi j’étudie de nouvelles possibilités, afin que l’argent serve à aider les personnes et les activités autant qu’à sauvegarder les bâtiments.

L’annonce d’une nouvelle "bonne cause" devant bénéficier des fonds de la Loterie - la santé et l’éducation - entraînera certainement une diminution des sommes allouées aux arts. Les revenus de la Loterie ayant baissé l’an dernier, l’Arts Council et l’Heritage Lottery Fund ne vont-ils pas y perdre ?
Le rendement de la Loterie a effectivement diminué l’année dernière, mais il est remonté grâce à l’introduction du tirage en milieu de semaine. Les tirages du mercredi et du samedi ont permis une augmentation de 20 %. Ce sont ces 20 % qui seront alloués aux arts. Les bénéficiaires actuels – les arts et la culture – ne devraient donc pas être sérieusement affectés.

Êtes-vous satisfait de la façon dont l’Heritage Lottery Fund a financé les acquisitions d’œuvres d’art ?
Les acquisitions devraient se faire en fonction des opportunités d’achat et ne porter que sur des œuvres considérées par le pays comme réellement importantes, auxquelles l’accès public est en outre garanti.

Conseillerez-vous aux autorités locales et à l’Heritage Lottery Fund de prendre en compte la récente "liste des cinquante musées" lors de l’attribution des subven­tions ?
J’espère bien sûr que tout le monde sera sensible à cette liste : mon département, les autorités locales, ceux qui allouent les subventions et tous les responsables de musées et de galeries. Elle a été très soigneusement établie en fonction de différents critères de qualité : le contenu des collections, mais également les conditions d’exposition et l’accueil des visiteurs. Cette désignation signifie que “ce musée ou cette galerie fait bien son travail”, elle doit donc être prise en compte pour accorder les aides.

Que peut-on faire pour encourager les autorités locales à dépenser davantage pour les musées et les arts ?
Le terme d’"encouragement" est bien choisi, car nous n’avons aucun pouvoir pour contraindre les autorités locales à des actions particulières. Mais nous envisageons de rendre obligatoire l’établissement de projets et de programmes culturels. Nous ne pouvons – et ne désirons pas – en dicter le contenu, mais nous aimerions que ces autorités prennent le temps de réfléchir au développement des activités culturelles, qu’elles en examinent les lacunes et proposent ce qu’elles voudraient voir encourager. Il faudrait pouvoir discuter de ces programmes et les publier afin que la communauté locale puisse exprimer son point de vue. Nous voulons le rendre obligatoire par décret. J’espère que ce sera fait par le Parlement actuel, bien que cela ne soit pas prévu pour l’année législative en cours.

En février, le programme du Parti travailliste souhaitait donner une nouvelle place à la Government Art Collection (collection d’art nationale). Il disait qu’il inciterait galeries et musées à l’exposer au  public à travers tout le pays. Comment allez-vous faire ?
Je tiens beaucoup à ce que cette collection soit accessible au public le plus large. Mais il faut évidemment respecter la raison d’être de la Government Art Collection : s’assurer que cet art de qualité, et en particulier l’art moderne britannique, peut être vu par les visiteurs des ministères et de nos ambassades dans le  monde entier.

Allez-vous vous battre pour protéger le marché de l’art londonien ? Une augmentation du taux de la TVA de 2,5 à 5 % sur les œuvres importées de l’extérieur de la Communauté européenne risque de chasser le commerce à l’étranger.
Je suis inquiet des propositions européennes. Je désire éviter la destruction de l’ensemble du marché européen au profit de New York. J’essaierai de prouver à mes collègues européens, avec force arguments, que vouloir harmoniser les taxes européennes, c’est faire en sorte que tout se passe aux États-Unis.

Mais si le commerce de l’art européen se fait uniquement à Londres, pourquoi les autres pays européens se soucieraient-ils de ce qui nous arrive ?
Peut-être que cela leur est indifférent. Mais l’augmentation de la TVA en Grande-Bretagne ne leur apportera rien. Par contre, elle nuira considérablement à l’activité économique de Londres. Je suis donc réellement inquiet. Je défendrai bec et ongles l’avantage anglais. Mais ce ne sera pas facile.

Que pensez-vous de la pression européenne sur l’introduction du "droit de suite" en Grande-Bretagne ?
Là aussi, c’est dangereux. Je ferai de mon mieux pour empêcher que soient prises de nouvelles dispositions pouvant porter atteinte au marché de l’art londonien ou à l’intérêt des artistes britanniques.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°43 du 12 septembre 1997, avec le titre suivant : Chris Smith défend le marché de l’art londonnien

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