Les hauts et les bas des galeries

Cinq marchands témoignent

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 26 septembre 1997 - 768 mots

Le marché suisse de l’art contemporain, qui connaissait depuis cinq ans une baisse des transactions, semble avoir retrouvé un certain dynamisme. Cinq galeristes helvètes, bientôt présents à la Fiac, expriment leur sentiment sur la situation actuelle dans leur pays.

Le marché de l’art contemporain est actif en Suisse, et les marchands sont nombreux. “Il y a trop de galeries à Zurich par rapport au nombre d’habitants : plus de 300 pour quelque 300 000 habitants. C’est presque un record du monde”, souligne même Nicolas von Senger, directeur de la galerie Ars Futura. Pour ce dernier, qui dirige seul l’espace qu’il a fondé en 1992, “la concurrence est rude entre les galeries”. Cependant, seules dix d’entre elles, basées dans la capitale financière de la Confédération, travaillent réellement à un niveau international. Zurich est une ville où les revenus sont élevés et les collectionneurs potentiels assez nombreux. Peter Kilchmann, directeur de la galerie qui porte son nom, insiste sur le rôle que jouent actuellement sur le marché zurichois les galeristes et collectionneurs Hauser & Wirth (lire l’interview page 18) : “Le fait qu’ils achètent beaucoup d’œuvres de jeunes artistes a une influence positive sur les autres collectionneurs”. Eva Presenhuber, de la galerie Walcheturm à Zurich, fait cependant un constat partagé par tous ses pairs : “La Suisse est petite, c’est le problème”. Les grands collectionneurs voyagent de plus en plus, ce qui n’arrange pas les affaires des marchands. “Les Suisses aiment beaucoup acheter à l’étranger”, souligne encore Peter Kilchmann. Pour Pierre Huber, directeur de la galerie Art Public à Genève, “aujourd’hui, le marché se spécialise. Les collectionneurs ont tous un ordinateur dans la tête”. Ils ont une parfaite connaissance du marché. Aussi les galeristes suisses sont-ils souvent obligés de séduire des collectionneurs étrangers. Selon Pierre Huber, “une galerie suisse ne s’en sort que si elle va chercher ses clients ailleurs”. Si la galerie Walcheturm estime vendre 70 % de ses pièces à des Suisses, contre 30% à des étrangers, Pierre Huber se désole de ne vendre qu’une pièce sur dix à Genève, une tendance qui s’est accentuée au cours des dernières années.

Dans ce contexte, Nicolas von Senger insiste sur le rôle joué par les foires : “Quand j’ai ouvert la galerie, j’ai vendu à des amis collectionneurs. Grâce aux foires, j’ai pu toucher un public étranger, et aujourd’hui, 50 % de mes ventes sont réalisées en Europe”. Les institutions suisses viennent peu en aide aux galeries, qui vendent plus de 90 % de leurs pièces à des particuliers. Ainsi, en cinq ans, la galerie Ars Futura n’a vendu que deux œuvres à un musée, la Kunsthaus de Zurich en l’occurrence. En parallèle, Eva Presenhuber déplore qu’”après les musées, il y ait peu de collectionneurs pour des œuvres difficiles, comme les installations”. Pour Pierre Huber, qui est également président de l’Association des galeries suisses, “on ne demande pas que les galeries soient assistées, mais les institutions devraient aussi acheter aux galeries, au lieu de traiter en direct avec les artistes”. “Avant, le vernissage était une fête”, se souvient le Genevois. “Aujourd’hui, 90 % du travail se fait dans les coulisses”. L’emplacement géographique de la galerie tend donc à avoir moins d’importance, surtout dans un pays de petite taille. La galerie Tschudi, qui représente des artistes tels que Carl Andre, Bruce Nauman, Richard Long ou Mario Merz, est installée à Glaris, une bourgade alpine de six mille habitants. Les Zurichois n’hésitent pourtant pas à faire une heure de route pour venir assister aux vernissages. La qualité des expositions joue un rôle primordial, tant pour attirer les collectionneurs que pour dynamiser la scène locale. La galeriste bâloise Gisèle Linder déplore “l’absence à Bâle d’une jeune galerie plus ouverte sur la jeune création”. À Zurich, au contraire, ce type de marchand ne manque pas. “La ville est assez up-to-date”, déclare Nicolas von Senger. “Les expositions sont bonnes, la qualité est très haute. En comparaison, quand je vais à New York, je suis déçu !”.

Toutefois, pour certains galeristes, il n’y a point de salut en dehors des États-Unis. “Le centre du monde est malheureusement là-bas”, selon Pierre Huber. “Pour un collectionneur en Europe, il y en a cent aux États-Unis. Nous devons avoir des infrastructures plus professionnelles, être plus concurrentiels parce que les marges ont baissé. Heureusement, la photographie nous sauve”. Les galeristes n’ont pas le monopole de ces difficultés. Les artistes suisses, même s’ils se rendent sur place, sont confrontés à des problèmes identiques. Et le directeur de la galerie Art Public de conclure : “Même pour Fischli et Weiss, aux États-Unis, ce n’est pas évident. Les deux artistes sont trop intelligents”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°44 du 26 septembre 1997, avec le titre suivant : Les hauts et les bas des galeries

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