Douces gravures

Quand l’artisan devient artiste

Le Journal des Arts

Le 26 septembre 1997 - 531 mots

Le département des Arts graphiques du Louvre réunit une centaine de gravures en taille-douce réalisées aux XVe et XVIe siècles. Ces pièces rares, souvent uniques, permettent de redécouvrir de nombreux maîtres anonymes qui préfigurent la Renaissance néerlandaise, représentée par Lucas de Leyde et Frans Crabbe. L’exposition aborde aussi une époque de transition où l’artisan devient artiste, et la technique une expression artistique autonome.

PARIS. Un chevalier, sur un cheval cabré, transperce de sa lance un dragon ailé. Sur le côté, une princesse observe la scène depuis un rocher, les mains jointes. Ce Saint Georges du Maître de Zwolle reflète assez bien la production gravée de la seconde moitié du XVe siècle. Le trait est fin, précis, pour ne perdre aucun détail. Personnages et animaux flottent dans un espace indéfini, fragmenté par des îlots rocheux. Les drapés, aux plis cassés, dessinent des arabesques. L’esprit est encore nettement gothique. Quelques décennies plus tard, Frans Crabbe signe une Nativité sur fond de ruines classiques. L’emploi du clair-obscur et la perspective plongeante prouvent une familiarité avec les plus récentes recherches picturales. À travers quelque 110 gravures des anciens Pays-Bas, provenant de la collection Edmond de Rotschild, le Louvre retrace la naissance, le développement et les métamorphoses de la gravure en taille-douce aux XVe et XVIe siècles. Inventée vers 1430 dans la vallée du Rhin, cette technique consiste à tracer le dessin sur une plaque de cuivre, que l’on incise ensuite au burin. En raison de la finesse des traits obtenus et du nombre limité des tirages (environ 3 000, contre 10 000 en xylographie), les estampes en taille-douce s’adressaient à une élite. Au XVIe siècle, certains artistes passent maîtres dans cet art, tels Dürer en Alle­magne, Marc-Antoine Rai­mondi en Italie, ou Lucas de Leyde à Anvers. Ce sont eux qui transforment une technique d’abord utilisée pour la reproduction de tableaux en un genre autonome. La présentation chronologique de l’exposition, qui se concentre uniquement sur les Pays-Bas, s’attache à cette évolution fondamentale.

Naissance d’un genre
Maître des Jardins d’Amour, Maître aux banderolles, Maître de la Passion de Berlin…, derrière ces noms énigmatiques se cachent de remarquables graveurs, dont le travail reste néanmoins tributaire d’autres expressions artistiques. À l’instar de nombreux collègues, le Maître aux banderolles va chercher ses compositions dans les tableaux de Stephen Lochner et du Maître de Flémalle. Souvent formés chez des orfèvres, les graveurs en taille-douce du XVe siècle conservent un goût pour l’ornemental. À partir du XVIe siècle, les métiers de graveur et de peintre s’interpénètrent. Jan Gossaert pratique le burin et Lucas de Leyde le pinceau. Ils participent davantage aux débats artistiques. Le poète Virgile suspendu dans un panier, de la dernière période de Lucas de Leyde, dénote une forte influence italienne, tandis que la Nativité de Frans Crabbe relève du maniérisme anversois. Les gravures deviennent vite le principal véhicule des expériences artistiques, qu’elles diffusent à travers l’Europe.

GRAVEURS EN TAILLE-DOUCE DES ANCIENS PAYS-BAS AUX XVe ET XVIe SIÈCLES, du 3 octobre au 5 janvier 1998, Musée du Louvre, aile Sully, salle de la Chapelle, tél. 01 40 20 51 51, tlj sauf mardi, 9h-17h45. Accès avec le billet d’entrée du musée. Catalogue de Pierrette Jean-Richard, éd. RMN, environ 200 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°44 du 26 septembre 1997, avec le titre suivant : Douces gravures

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