Consolidation du 'droit des veuves'

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 7 novembre 1997 - 418 mots

Le \"droit des veuves\" est une périphrase, généralement utilisée par ceux qui le conteste, pour désigner le pouvoir que le code de la propriété intellectuelle confère aux ayants droit des artistes, en particulier au titre du droit moral qui leur permet de défendre le nom et l’œuvre de l’artiste ou, au titre du droit de divulgation, d’authentifier une œuvre. La Cour de cassation vient de confirmer que le droit moral échappe à la conception commune des successions.

PARIS. L’exercice du droit moral et de ses composantes, assorti de la mise en œuvre du droit de saisie contrefaçon, peut en effet permettre au conjoint survivant ou aux héritiers d’imposer leur contrôle sur les transactions. Cette intrusion des familles sur le marché n’est pas forcément du goût des caciques qui se considèrent comme les certificateurs exclusifs de l’authenticité, droit qu’ils ont acquis à force d’études et d’investissements (de la constitution de catalogues raisonnés à l’appropriation des fonds ou des archives relatives à tel ou tel artiste). La compétition entre les héritiers du savoir et ceux du sang ou du mariage est récurrente. De temps en temps, elle s’exprime dans les prétoires. Ainsi, le JdA a relaté en 1996 le contentieux à propos d’œuvres de Fautrier attestées par un héritier mais contestées par les experts. Dans ce cas, l’avis des experts l’avait emporté. Dans d’autres, celui des ayants droit a prévalu. Le pouvoir pris par les ayants droit de l’artiste et les enjeux financiers qui s’y attachent indirectement – le droit moral inaliénable n’est pas susceptible de transaction financière, mais le pouvoir d’authentification qu’il peut conférer peut se monnayer – expliquent pourquoi des différends peuvent survenir sur sa détention. Un récent arrêt de la Cour de cassation le démontre. Francis Picabia avait désigné son épouse en secondes noces comme légataire universelle. Les petits-enfants du premier mariage, héritiers réservataires – en droit français, une fraction de la succession, la “réserve”, reste acquise aux héritiers de sang (enfants et parents) –, s’estimant investis du droit moral, s’en étaient prévalu et avaient été attaqués en justice par la veuve. Les petits-enfants s’étaient défendus en contestant que le testament avait transféré le droit moral à l’épouse. La Cour de cassation a récemment estimé qu’en instituant son épouse légataire universelle, Francis Picabia lui transférait également l’exercice de son droit moral. La Cour de cassation confirme ainsi que le droit moral, qui n’est pas un actif patrimonial, échappe à la conception commune des successions. Les conjoints s’en sentiront mieux. Les enfants (et peut-être les experts), moins bien.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°47 du 7 novembre 1997, avec le titre suivant : Consolidation du 'droit des veuves'

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