Collectionner est tout un art

À New York, le goût des Ganz l’emporte sur celui des Sharp

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 21 novembre 1997 - 796 mots

Alors que Sotheby’s a mal entamé la saison des ventes d’automne à New York, Christie’s a parfaitement tiré son épingle du jeu en dispersant pour plus de 206 millions de dollars (1,18 milliard de francs) la collection Ganz, l’une des plus célèbres pour l’art du XXe siècle. Sotheby’s, en revanche, a mal vendu les Cézanne de la collection Pellerin et même perdu de l’argent avec la dispersion de la collection Sharp, pour laquelle elle avait offert des garanties. La vente a réalisé 41 millions de dollars, soit moins que son estimation basse de 59 millions.

NEW YORK. Dans une atmosphère qui rappelait les grandes heures du marché, Le Rêve, un portrait de Marie-Thérèse Walter peint par Picasso en 1932, a été emporté à 48,4 millions de dollars (277,3 millions de francs). Estimée 30 millions, cette toile n’a toutefois pas battu le record détenu par Les Noces de Pierrette, adjugée 300 millions de francs en 1990 à Paris. “Si la vente a été une réussite, c’est à cause de son nom”, a commenté Christopher Burge, président de Christie’s USA, qui tenait le marteau lors de cette soirée, “c’était la collection très spéciale de collectionneurs très spéciaux.” Victor et Sally Ganz, décédés respectivement en 1987 et 1997, avaient dépensé environ deux millions de dollars en cinquante ans pour constituer, selon leur expression, une “accumulation”, dont les cent quinze œuvres, estimées à 140 millions de dollars, auront été dispersées en deux semaines. Sur les 58 œuvres ayant la plus grande valeur, estimées au total 125 millions de dollars, 57 ont trouvé preneur. Femme assise dans un fauteuil, estimée quinze à vingt millions, un Picasso de 1913, a été adjugée 24,75 millions et Chat à l’oiseau, estimé entre six et sept millions, à 8,25 millions.

Rauschenberg ravalé
Toujours de Picasso, la version O des Femmes d’Alger, l’un des quinze tableaux de la série peinte en hommage à Delacroix, est partie à 31,90 millions. Les versions H, estimée entre six et huit millions, M et K, des grisailles estimées chacune entre quatre et cinq millions, ont été adjugées respectivement 7,15 millions, 11 millions et 7,26 millions. La galerie parisienne Louise Leiris – qui refusait de séparer les quinze toiles – avait vendu la série aux Ganz, en 1956, pour 212 935 dollars, et ceux-ci en avaient aussitôt revendu dix... Nu couché, également du maître catalan et estimé entre quatre et six millions, a fait 14,5 millions, et Le Marin, estimé entre 4,5 et 6 millions, a été acquis pour 8,8 millions. La seule déception est venu de la mévente de Rigger, un Robert Rauschenberg de 1961 estimé entre trois et quatre millions de dollars, qui a été ravalé à 2,4 millions.

Sotheby’s largement distancée
Malgré un tableau de Renoir, la Baigneuse, adjugé 20,90 millions de dollars, Sotheby’s n’a pu rivaliser avec sa concurrente. Elle a peiné pour disperser les dix Cézanne de la collection Auguste Pellerin. Aucun des tableaux ayant appartenu à cet industriel français, mort en 1929 et connu pour la centaine d’œuvres de Cézanne qu’il avait rassemblée, n’a dépassé son estimation. Une moderne Olympia, estimé entre six et huit millions, a été adjugé 5,9 millions, tandis que Cinq baigneuses sous un arbre (même estimation) partait à 5,5 millions. Paris, quai de Bercy - la Halle, estimé entre trois et quatre millions, a même été retiré à 2,1 millions. Le salut n’est pas venu non plus de la collection de peintures et sculptures du XXe siècle rassemblées par Evelyn Sharp. Même si 34 des 39 œuvres ont trouvé preneur, Sotheby’s a perdu de l’argent car elle avait offert des garanties aux vendeurs. Constituée par une femme d’affaires et philanthrope américaine décédée cette année, elle était pourtant considérée comme “l’une des plus belles collections privées” par Diana Brooks, présidente de la maison américaine. Évaluée à soixante millions de dollars, elle comprenait notamment deux huiles sur toile de Modigliani. La première, Nu Couché aux bras levés, estimée à plus de dix millions, n’a trouvé preneur, à neuf millions, qu’au terme d’une négociation de gré à gré. La seconde, le Portrait de Cheron, estimé 1,5 million, est parti en deçà du million. Les Picasso n’ont pas non plus dépassé leur évaluation, telle la Toilette de Vénus, estimée cinq à sept millions et emportée à 4,9 millions, et Femme nue couchée au collier, estimée quatre millions et acquise à trois millions. À la fin de cette première semaine d’enchères automnales, Sotheby’s, qui a tout juste dépassé les 165 millions de dollars, accuse donc un retard de 130 millions sur sa rivale. “Rétrospectivement, nos estimations étaient trop hautes”, a admis Diana Brooks, en reconnaissant que la lutte contre Christie’s pour emporter cette collection l’avait contrainte à faire des promesses trop généreuses aux héritiers Sharp. “Nous nous sommes battus pour emporter cette vente et nous n’avons pas gagné”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°48 du 21 novembre 1997, avec le titre suivant : Collectionner est tout un art

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