Des prérogatives de banquier sans les contrôles rigoureux de la Banque

Commissaires-priseurs : ce que suggérait la commission Léonnet

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 21 novembre 1997 - 886 mots

Après avoir été mis en examen pour \"abus de confiance aggravé, recel et complicité”? et écroué le 24 octobre à la Santé, Guy Loudmer a été “suspendu provisoirement\", ainsi que son fils Philippe Loudmer, considéré comme \"défaillant\" par la Compagnie des commissaires-priseurs de Paris. Le 4 novembre, Me Daniel Boscher a été nommé administrateur de l’étude par le président du Tribunal de Grande Instance, à la suite d’une demande de Drouot. Les griefs articulés contre l’une des premières études parisiennes soulignent l’archaïsme d’un dispositif qui donne en fait aux commissaires-priseurs des prérogatives de banquier sans les soumettre à des contrôles adaptés.

PARIS - Si le procès contre Guy Loudmer reste à juger, celui du système qui a autorisé les dérives constatées a déjà été instruit. Une lecture en négatif des préconisations de la commission Léonnet donne la mesure des pratiques interdites, à éliminer définitivement dans la profession : commerce déguisé, opérations financières illicites, absence de transparence et de certification réelle des comptes, exercice illégal de la profession de banquier... À quoi répondent les propositions Léonnet pour les sociétés de ventes volontaires : commissaires aux comptes, interdiction des opérations de négoce, garanties des fonds des vendeurs... Le risque le plus évident résulte de la “libre” disposition du produit des ventes, en attente de reversement aux vendeurs. Tout se passe en effet comme si les commissaires-priseurs exerçaient l’activité des banques de dépôt, mais sans les mêmes garde-fous et les mêmes contrôles imposés à ces dernières. Au fil des ventes, les études convertissent les dépôts d’objets en disponibilités monétaires et se retrouvent donc détentrices de fonds importants. Mais ces dépôts ne sont pratiquement pas contrôlés. Les notaires doivent déposer les fonds à la Caisse des dépôts et consignations, les avocats à la CARPA, les agences immobilières sur des comptes spéciaux indisponibles. Rien de tel pour les commissaires-priseurs.

Confusion dangereuse des patrimoines ?
Dès lors, peuvent se créer les conditions d’une confusion dangereuse des patrimoines. En effet, le roulement naturel des fonds vendeurs peut masquer la situation financière réelle. Concrètement, si une étude fait 10 millions de francs de ventes par mois et retarde de deux ou trois mois ses règlements au vendeur, elle se retrouve avec en permanence 30 ou 40 millions de francs de disponibilités apparentes. Pour peu que sa gestion ne soit pas très rigoureuse, elle pourra financer des pertes sans même s’en apercevoir, jusqu’à un éventuel “krach”. Afin de l’éviter, les chambres de discipline font effectuer des contrôles. Toutefois, comme ils ne sont pas effectués par des spécialistes du contrôle financier mais par les commissaires-priseurs eux-mêmes, tantôt contrôleurs, tantôt contrôlés, on n’aboutit pas forcément toujours à la rigueur absolue. Bien entendu, les vendeurs disposent d’une garantie. Si un commissaire-priseur est déficient, la bourse commune de compagnie prend le relais ; au pire, l’ensemble des commissaires-priseurs de la place devra combler le déficit.

Diverses parades
Pour limiter ces risques, le projet Léonnet a imaginé diverses parades. Tout en proposant la constitution de sociétés commerciales de ventes volontaires, le dispositif complète les dispositions de la loi de 1966 sur les sociétés commerciales de moyens de protection additionnels. Pour garantir les vendeurs, le  rapport Aicardi suggérait un capital social très élevé (100 millions de francs). Cette suggestion n’a pas été retenue. À la place, le projet prévoit en particulier :

    - la nomination d’un commissaire aux comptes, quelle que soit la forme sociale (ce qui déroge à la loi de 1966). Le commissaire aux comptes est indépendant de l’entreprise et certifie la sincérité des comptes. Sa responsabilité civile, voire pénale, peut être engagée s’il commet des négligences. Sa mission, à partir de contrôles détaillés, est d’attester que les comptes sociaux, qui doivent être publiés au greffe du Tribunal de commerce et sont donc accessibles au public, reflètent la situation financière réelle de la société. Les prérogatives du commissaire aux comptes sont importantes, puisqu’il peut même d’office dénoncer à la justice les irrégularités constatées.

    - l’ouverture de comptes spéciaux destinés à recevoir exclusivement les fonds provenant du produit des ventes.

    - la souscription de polices d’assurance garantissant “la représentation des fonds détenus pour le compte d’autrui“.

Par ailleurs, l’avant-projet de loi, pour éviter les tentations, prévoit de cantonner l’objet des sociétés de ventes volontaires à “l’estimation des biens mobiliers et à la réalisation des ventes volontaires de meubles aux enchères“ et, limitant leur rôle à celui de mandataire du vendeur, leur interdirait “d’acheter ou de vendre directement ou indirectement pour leur propre compte des biens meubles proposés à la vente aux enchères publiques”. Précaution supplémentaire, ces interdictions seraient étendues aux dirigeants associés et salariés des sociétés de vente. Enfin, les sociétés de vente seront soumises à l’agrément d’un Conseil des ventes auquel elles devront présenter des “garanties suffisantes, notamment en ce qui concerne leur organisation, leurs moyens techniques et financiers, l’honorabilité et l’expérience de leurs dirigeants ainsi que les dispositions propres à assurer pour leur clients la sécurité des opérations“. À l’évidence, lorsque le groupe de travail Léonnet a préparé ses propositions, il savait que le système en place, archaïque, pouvait autoriser de graves dérives.
En attendant la réforme du système, il faudra tirer les conséquences des dérives constatées. Lorsque la cote d’alerte a été dépassée, la question peut se poser de savoir s’il faut incriminer exclusivement le défaillant ou aussi ceux qui étaient censés assurer son contrôle.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°48 du 21 novembre 1997, avec le titre suivant : Des prérogatives de banquier sans les contrôles rigoureux de la Banque

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