Art contemporain

Monographie

Le martinet et la bétonneuse

Monica Bonvicini feint le sadomasochisme pour une frappe chirurgicale au cœur des symboles de pouvoir

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 16 septembre 2009 - 629 mots

CARQUEFOU - Moins violente ou littéralement vandale mais toujours percutante, l’oeuvre de Monica Bonvicini s’expose au FRAC des Pays de la Loire dans une ambiance délicieusement ambiguë.

CARQUEFOU - Moins violente ou littéralement vandale mais toujours percutante, l’oeuvre de Monica Bonvicini s’expose au FRAC des Pays de la Loire dans une ambiance délicieusement ambiguë. L’artiste italienne, qui a remporté le Lion d’or de la Biennale de Venise en 1999 pour son oeuvre In progress (I believe in the skin of things as in that of women), où des ouvriers s’affairaient autour d’une érection de plâtre à grande effusion de poussière, semble laisser de côté la scie circulaire pour des manières plus subtiles de trancher dans la domination masculine. Cette dénonciation des hiérarchies phallocratiques traduites dans l’architecture urbaine − et transposables dans le monde de l’art − prend ici l’allure ironique d’une fête foraine sadomasochiste. Avec humour, mais sans jamais baisser la garde, Bonvicini présente un manège agité toutes les cinq minutes d’évocateurs soubresauts. Les nacelles sont des harnais utilisés dans le bâtiment que l’artiste a plongés dans un bain de latex noir (Identify protection). Mise en scène d’un fétichisme extravagant (Bonvicini s’est amusée à donner un prénom masculin à chacun des baudriers), l’œuvre, par sa monumentalité, est aussitôt suspectée d’ironie. Un doute confirmé par la hache gainée dans un habit de cuir argenté, déposée telle une pièce à conviction sur un socle dégoulinant de peinture noire, dont le mauvais goût semble emprunté aux pires décors de films d’épouvante (Leather axe). En maniant ainsi les clichés d’une sexualité masochiste, l’artiste explicitement féministe semble adresser un clin d’œil à la verve revancharde de ces mères activistes des années 1970, tout en décomplexant sa propre nature sexuée ici revendiquée. Mais la stratégie de la pièce lumineuse Not for you dont le séduisant clignotement s’accélère jusqu’à risquer la crise épileptique, joue de l’attraction-répulsion sur un ton moins univoque. Piégeant le visiteur entre cette formule exclusive et son reflet dans sa répétition en miroir, le dispositif renvoie plus largement aux symboles de pouvoir qui nous font devenir chèvre. Le guet-apens mime le rapport de force qu’établit toute instance hiérarchique en faisant miroiter de fausses promesses à ses usagers. Bonvicini décrypte ici le message promotionnel : l’architecture dans laquelle vous vivez, la société du spectacle qui vous divertit et l’art qui vous séduit en ce moment même… n’ont que faire de vous.

Mise en scène poétique
Le discours autocritique qui surgit dans le miroir ajoute un niveau de sens au manège d’ouvriers fantômes. L’analogie entre le manœuvre et l’artiste, pris chacun dans un système de pouvoir qui les dépasse, était déjà sous-entendu quand l’artiste distribua en 1998 un questionnaire aux ouvriers du bâtiment (Qu’est-ce que votre femme pense de vos mains dures et sèches ?). Le carrousel de l’art actionné par les expositions et le marché est pointé du doigt par les références délibérées à l’esthétique moderniste (Plexiglas, miroir, noir et blanc, langage) savamment détournée avec cet agglomérat de néons suspendus au-dessus de l’arme du crime : la hache (Lightkanone). Abandonnant la violence destructrice de la vidéo Hammering out (1998) pour une mise en scène magistralement poétique, l’artiste perce le mur des apparences − celui de l’espace d’exposition − non pas à coups de marteau mais par un grand poster ouvrant une fenêtre sur les vérités cachées (Padiglione talia 2005). L’image montre le chantier qui occupe la majeure partie du temps le pavillon italien de la Biennale de Venise. Vision nostalgique du travail de l’art, la bétonneuse et les gravats trônent sur cet étendard brandi au nez des vérités admises et des conventions solides.

MONICA BONVICINI, jusqu’au 11 octobre, FRAC des Pays de la Loire, La Fleuriaye, boulevard Ampère, 44470 Carquefou, tél. 02 28 01 50 00, www.fracdespaysdelaloire.com, du mercredi au dimanche 14h-18h. Entrée libre.

MONICA BONVICINI
Nombre d’œuvres : 6, dont 3 produites spécialement

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°309 du 18 septembre 2009, avec le titre suivant : Le martinet et la bétonneuse

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