Peinture

D’une collection à l’autre

Bruegel, Memling, Van Eyck, Joardens : le Musée Jacquemart-André révèle au public parisien les trésors de la collection Brukenthal

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 16 septembre 2009 - 736 mots

PARIS - Après la collection Altenbourg au printemps dernier – chef-d’oeuvre du Trecento et du Quattrocento –, le Musée Jacquemart-André accueille en ses murs un nouvel ensemble prestigieux, avec en tête d’affiche Bruegel, Memling et Van Eyck.

Conservée à Sibiu, en Roumanie, la collection du baron von Brukenthal est aujourd’hui révélée au public parisien à travers une quarantaine de peintures. Grand favori de l’impératrice d’Autriche Marie-Thérèse, qui le nomma chancelier et gouverneur de Transylvanie, Samuel von Brukenthal (1721-1803) fut, comme nombre de ses contemporains, passionné par l’art flamand. Ce Saxon luthérien, descendant d’une famille allemande installée en Transylvanie, a emporté sur le marché de l’art viennois quelques-unes des plus belles pièces de la peinture flamande. Sa collection compte quelque 1 200 peintures européennes des XVIe et XVIIe siècles – provenant en majorité des Pays-Bas, mais aussi d’Italie, d’Allemagne, d’Autriche, de France et d’Espagne –, ainsi que de très nombreux livres et objets. En 1778, Samuel von Brukenthal fait construire un palais à Hermannstadt (l’actuelle Sibiu), capitale de la principauté de Transylvanie, pour conserver et présenter ses œuvres. Sa résidence est transformée en Muzeul National Brukenthal en 1817 avant que, conformément à ses dispositions testamentaires, la collection ne devienne propriété du collège évangélique de Hermannstadt-Sibiu en 1872. Passée entre les mains, en 1948, de l’État roumain, puis dispersée sous le régime de Ceaucescu, elle a été restituée il y a un peu plus d’un an à l’Église évangélique.

Anecdotes
Classé par thème ou par artiste, le panel présenté au Musée Jacquemart, selon une scénographie parfois un peu trop théâtrale, offre de beaux exemples du réalisme propre à l’école flamande et de la grande diversité des genres abordés (portraits, natures mortes, peintures d’histoire, paysages, scènes de genre). Le fleuron de cet ensemble n’est autre que le portrait de Van Eyck et son atelier, L’Homme au chaperon bleu (vers 1430), qualifié par les commissaires de la manifestation, Jan de Maere et Nicolas Sainte Fare Garnot, de « premier portrait moderne de l’histoire de la peinture ». En effet, « dans ce tableau, le peintre ne cherche pas à faire un portrait de la condition sociale, mais bien à traduire une émotion », poursuivent-ils. Pour la petite histoire, lorsqu’il fait l’acquisition de ce portrait d’un homme à la barbe naissante à Vienne, Brukenthal est persuadé d’avoir acheté un Dürer. L’acquisition de La Sainte Famille (1625-1630) de Jacob Joardens relève d’une anecdote similaire : Brukenthal pense alors faire entrer dans sa collection une œuvre de Jan Lievens. La Sainte Famille n’est rendue à Joardens qu’en 1921. Dans ce tableau, l’artiste s’essaye au clair-obscur, à la manière des peintres caravagesques ou de Georges de la Tour. La Vierge emprunte les traits de son épouse et la servante ceux de sa fille, ce qui contribue, sans doute, au réalisme des figures comme le souligne Nicolas Sainte Fare Garnot. De Memling, sont exposés deux fragments d’un grand panneau démembré représentant un couple, Donateur priant avec son fils défunt, et Donatrice en dévotion avec son petit chien (vers 1480). Les peintures sont mises en regard de l’Allégorie de la vertu (vers 1480) du Musée Jacquemart-André. Il faudrait citer encore Le Massacre des Innocents à Bethléem (vers 1565-1567) exécuté par plusieurs mains, celles de Pierre II Bruegel et de l’atelier Bruegel, comme en témoignent les marques du poncif utilisé pour reporter le dessin sur la toile. Deux œuvres italiennes font une incursion remarquée dans ce parcours essentiellement flamand : Saint Jérôme pénitent (vers 1544) de Lorenzo Lotto et une toile longtemps sujette à discussion, un Ecce Homo de Titien daté vers 1560, moment où l’artiste change radicalement de style pour se concentrer sur les contrastes des ombres et de la lumière. Si certains historiens l’attribuent à l’atelier du maître vénitien, pour Nicolas Sainte Fare Garnot, il ne fait aucun doute que cette œuvre, offerte par l’impératrice Marie-Thérèse à son protégé, est un authentique Titien. Le conservateur attire également l’attention sur les productions du peintre-miniaturiste Georg Ier Hoefnagel, deux natures mortes d’un grand raffinement dont l’inscription latine évoque la beauté de la nature et le génie des peintres à la représenter. Une légende pouvant s’appliquer à de nombreuses pièces de la collection Brukenthal qui trouvent aisément leur place dans la demeure des collectionneurs français.

LA COLLECTION BRUKENTHAL, jusqu’au 11 janvier 2010, Musée Jacquemart-André, 158, boulevard Haussmann, 75008 Paris, tél. 01 45 62 11 59, www.musee-jacquemart-andre.com, tlj 10h-18h. Catalogue, éd. Fonds Mercator, 190 p., 39 euros, ISBN 978-90-6153-904-9.

BRUKENTHAL
Commissaires : Nicolas Sainte Fare Garnot, conservateur du Musée Jacquemart-André, et Jan de Maere, historien de l’art et journaliste, directeur du Centre de documentation du patrimoine flamand
Nombre de tableaux : 45
Scénographie : Hubert Le Gall

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°309 du 18 septembre 2009, avec le titre suivant : D’une collection à l’autre

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