Kessels soumis à la question

Des photographies plus noires que blanches

Le Journal des Arts

Le 5 décembre 1997 - 679 mots

Il y a plus d’un an, le Musée de la Photographie de Charleroi devait présenter une rétrospective Willy Kessels où le passé de collaborateur du photographe était pour la première fois mis en évidence. La polémique avait fait rage à un point tel que devant une campagne de presse animée par le journal Le Peuple, le musée avait été contraint d’annuler l’exposition (lire le JdA n° 25, mai 1996). Elle est ouverte aujourd’hui à Bruxelles.

BRUXELLES (de notre correspondant) - Ceux qui avaient soumis le Musée de la Photographie à une intense pression pour obtenir l’interdiction de la rétrospective Kessels ont commis une erreur. L’exposition de Bruxelles en atteste. Ils ont, à leur corps défendant, suivi une voie qui, finalement, n’est pas si éloignée de celle empruntée par Kessels. La censure, l’insulte, l’occultation de la vérité relèvent d’un désir de réécrire l’histoire qui ressortit au fascisme ordinaire. Le pire service à rendre à Kessels n’était-il pas de l’exposer, sobrement et en toute objectivité, pour en démonter les mécanismes et en comprendre les motivations ? L’exposition présentée au Palais des Beaux-Arts y invite. Encore faut-il relativiser. Le volet pédagogique constitue paradoxalement son seul aspect spectaculaire. La première salle a été transformée en bibliothèque, et le visiteur peut y compulser les textes d’un catalogue toujours en voie d’achèvement ainsi qu’une sélection d’ouvrages relatifs à la question.

Aucun texte explicatif
L’œuvre de Kessels, telle qu’elle se résume dans les neuf photographies agrandies ornant cette salle de lecture, se révèle ambiguë et témoigne ou bien de l’éclectisme d’un regard sans réelle profondeur ou bien de l’errance d’un esprit bouleversé par une crise autant économique que spirituelle.
Là-dessus, rien n’est dit. L’accrochage présente, en deux longs déroulements de 30 mètres, des photographies – souvent de petit format – doublées d’archives multiples : livres, encarts publicitaires, lettres, planches-contacts… Face à cette frise qui illustre le travail de l’artiste selon un parcours chronologique, le visiteur est souvent réduit à l’état de chercheur tant les indications de lecture manquent. Aucun texte explicatif, aucun souci pédagogique dans la présentation du matériel. Les organisateurs ont cru que le simple fait de montrer était garant d’objectivité comme si un fait, quel qu’il soit, pouvait revendiquer une hypo­thétique neutralité. Il faut donc être attentif pour découvrir certaines utilisations surprenantes que Kessels fait de ses photographies. Si le reportage qu’il a réalisé sur le lieu de tournage de Misère au Borinage (1933), de Storck et Ivens, a longtemps constitué pour Kessels son label d’homme du peuple, il a lui-même repris ces photographies pathétiques pour illustrer un opuscule de Rex, le mouvement fasciste animé par le sinistre Léon Degrelle. Comment expliquer ce glissement ? Et comment justifier l’emploi du même reportage de Kessels dans un prospectus publicitaire vantant les charbonnages Lignian ? Sans appareil critique, sans études parallèles qui permettraient de définir les pratiques photographiques dans les années trente, il semble difficile de porter un jugement définitif sur une œuvre qui, par ailleurs, ne manque pas de qualités, comme en témoignent tel portrait de Mesens ou telle composition abstraite.

Qui était Willy Kessels ? La question a sans doute moins d’intérêt que la compréhension des mécanismes de consommation et d’utilisation de la photographie. Entre l’indignation légitime (et que Kessels n’ait passé que deux jours sur le tournage de Misère au Borinage ne change rien à la sincérité d’un regard), l’illusion tragique d’une solution simpliste et la nécessité économique de la commande, quelle équation établir ? De la même façon, la critique de la période de guerre du photographe pose problème. En effet, Kessels ne semble pas avoir manifesté la moindre sensibilité à la tragédie qui se jouait, préférant multiplier les signes d’une singulière normalité. Si cette attitude est critiquable, alors il faut aussi revoir l’œuvre de nombre d’artistes d’avant-garde qui se sont, eux aussi, enfermés dans un univers volontairement aveugle aux drames du présent.

AMNÉSIE, RESPONSABILITÉ ET COLLABORATION : WILLY KESSELS, PHOTOGRAPHE, jusqu’au 4 janvier, Palais des Beaux-Arts, 23 rue Ravenstein, Bruxelles, tél. 32 2 507 84 66, tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue disponible à partir du 18 décembre, 200 p., 950 FB.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°49 du 5 décembre 1997, avec le titre suivant : Kessels soumis à la question

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