Du haut de Brentwood, le Getty nous contemple…

Treize années de chantier, 6 milliards de francs d’investissement : le musée californien inaugure ses nouveaux espaces

Le Journal des Arts

Le 5 décembre 1997 - 1788 mots

Du haut de la colline de Brentwood d’où il domine Los Angeles, le Getty Center entrera le 16 décembre dans une nouvelle phase de son histoire. Le Trust a en effet dépensé un milliard de dollars pour regrouper ses six institutions. Le musée, dont la surface d’exposition est portée à 37 000 m2, attend 1,5 million de visiteurs chaque année. Sa prestigieuse collection, récemment enrichie d’un Poussin, devrait trouver un écrin à sa mesure dans les bâtiments conçus par Richard Meier et aménagés par Thierry Despont. Toutes les étapes du projet ont naturellement été accompagnées par un concert de critiques.
Une nouvelle ère s’ouvre pour le J. Paul Getty Trust. La prodigieuse collection d’œuvres d’art a quitté la villa à l’antique de Malibu pour rejoindre la colline de Brentwood. L’archéologie continuera d’être présentée sur l’ancien site, après sa restauration. Désormais, les différentes institutions qui composent le Trust sont réunies dans un même lieu, le Getty Center. Ce rassemblement prélude à une évolution vers une politique plus sensible aux problèmes d’éducation. Le nouveau PDG du Getty Trust, Barry Munitz, a répondu à nos questions.

MALIBU - Il aura fallu treize ans et un milliard de dollars (6 milliards de francs) pour que le nouveau Getty Center voit le jour. Du haut de la colline de Brentwood, les six bâtiments dessinés par l’architecte allemand Richard Meier dominent la cité de Los Angeles. Aux critiques sur le coût faramineux du centre, le président sortant, Harold M. Williams, répond : “Une institution d’art doit donner une image de l’art. Et son architecture doit être une œuvre d’art. Elle doit être intemporelle.”

Les diverses institutions du Getty (Getty Conservation Institute, Getty Research Institute for the History of Art and the Huma­nities…), autrefois dispersées, ont trouvé place à Brentwood, à côté du musée qui ouvre ses portes le 16 décembre. La construction du centre ne semble pas avoir englouti tous les fonds puisque de nombreuses opérations sont en cours ou en préparation. Ainsi, le Getty Conservation Institute vient de conclure un accord de partenariat avec la Banque Mondiale pour la protection du patrimoine. Il conseillera l’organisme international dans le choix de sites culturels à préserver. Les premiers projets concernent deux lieux aussi différents que le Mali et Saint-Péters­bourg. Par ailleurs, l’institut américain poursuit le développement de projets dans 38 pays, de la République tchèque à la Chine en passant par le Mexique. Dans ce cas, même pour le Getty, l’argent est un problème puisque, comme le concède Miguel Angel Corzo, le directeur du Conser­vation Ins­ti­tute, “il y a plus de 40 000 monuments architecturaux rien qu’en Répu­blique tchèque. Il y a plus de 107 000 sites archéologiques au Mexique. Qui va payer pour tout ça ?”. Pour l’année 1995-96, le budget de ces opérations s’élevait à 24,88 millions de dollars (149,3 millions de francs). L’institut intervient également aux États-Unis : à Los Angeles, par exemple, il finance la sauvegarde de la peinture murale de David Si­queiros, America tropical, réalisée dans les années trente.

Une autre branche du Getty est impliquée dans des actions locales. Le Getty Research Institute for the History of Art and the Humanities, dirigé par Salvatore Settis, possède une bibliothèque d’environ 800 000 ouvrages, qui seront accessibles aux chercheurs et aux visiteurs sur rendez-vous. Cet institut organise aussi des séminaires annuels ; le dernier en date était consacré à l’histoire sociale de Los Angeles.

4,6 milliards de francs d’acquisitions en 10 ans
Mais, pour le grand public, le Getty reste avant tout un musée, qui bénéficie d’un impressionnant budget d’acquisition. Au cours des dix dernières années, le Getty Trust a dépensé 770 millions de dollars (4,6 milliards de francs) pour enrichir ses collections, une moyenne de 77 millions de dollars par an qui est largement supérieure aux crédits d’acquisition alloués aux onze musées nationaux britanniques. Ses fonds considérables en font de loin le principal intervenant sur le marché de l’art. Les 16 millions de livres (160 millions de francs) payés récemment pour Temps calme, de Poussin, ne laissent pas présager un infléchissement des dépenses. Par ailleurs, un riche collectionneur an­glais, Sir Graham Kirkham, a consenti deux prêts majeurs au Musée Getty : Moïse sauvé des eaux, de Gentileschi, et Un bar aux Folies-Bergère, de Manet.

Élitisme ?
Les récents développements du Getty ont naturellement suscité de nombreuses critiques. Celles-ci sont de deux ordres. En premier lieu, elles visent son élitisme, symbolisé par le choix du site. Ses opposants rappellent l’occasion qu’avait eue le Getty d’acquérir l’Ambassador Hotel – où Robert Kennedy a été assassiné –, qui bénéficiait d’une position assez centrale, et surtout facile d’accès, entre le riche West Side et le pauvre East Side, alors que les seuls utilisateurs des transports en commun que l’on peut voir dans les environs du Getty sont des domestiques et des jardiniers. D’autres critiques, tout en se félicitant au contraire de cet élitisme, reprochent au musée de ne pas acheter plus de Manet et de Van Gogh : plutôt que de créer des programmes d’éducation, le Getty devrait se consacrer à rassembler la meilleure collection possible.

Harold Williams refuse de considérer que le musée a été sacrifié aux autres activités du Trust. Quant à l’installation dans l’Ambassador Hotel, il estime qu’elle aurait entravé le développement du Getty. Son plus grand regret concerne l’échec de la fusion avec le Simon Norton Museum. Il faudrait aujourd’hui des milliards pour constituer une telle collection d’art moderne, de maîtres anciens et de sculpture in­dienne. Les deux musées avaient même acquis deux tableaux en commun afin d’éviter une bataille d’enchères en vente publique. Le Norton Simon Mu­seum risquait d’y perdre son identité, a-t-on avancé officiellement pour expliquer l’échec de la fusion. Après un an de recherches, le J. Paul Getty Trust a finalement porté son choix sur Barry Munitz pour succéder à Harold Williams. Le nouveau président-directeur général, qui était auparavant président de l’Université de Californie, nous a accordé un entretien.

En quoi la direction du Getty Center est-elle si particulière ?
Le fait qu’il y ait autant d’éléments différents liés les uns aux autres – une fondation, une institution universitaire et un extraordinaire musée – qui, pour la première fois sont réunis dans un même lieu et peuvent agir conjointement.

Le coût d’exploitation du Getty Center va-t-il entraîner une limitation des activités ?
Non. Avec la vitalité du marché financier ces deux dernières années et le savoir-faire impressionnant des gestionnaires, nous avons une base financière très solide. Mais avec les autres opérations que nous devons mener, il va falloir nous accrocher à nos priorités. Il faudra être vigilant et ne s’aventurer que sur les terrains où nous sommes performants et où nous pouvons nous distinguer.

Le Getty a la réputation d’être un acheteur d’œuvres d’art, souvent à des prix très élevés. Cette politique d’acquisition va-t-elle continuer ?
Oui. Nous allons même en renforcer certains aspects. Nous allons aussi développer des partenariats avec d’autres grandes organisations spécialisées dans l’art. Nous ne nous contenterons pas de dépenser de l’argent à droite et à gauche sous prétexte de développer la collection. Il faudra bientôt penser un peu moins à réunir des fonds et un peu plus aux types de partenariats possibles pour conjuguer nos moyens, ainsi qu’à une harmonisation des stratégies, des questions auxquelles on a peu prêté attention jusqu’à présent.

Vous n’en êtes tout de même pas réduit à quêter pour obtenir des dons ?
Vendre des crayons ou des pommes sur la voie publique ne m’intéresse pas, pas plus que de mendier pour que les gens me donnent de l’argent. En revanche, si vous regardez les relations que nous avons eues avec les Fleischman – dont la collection d’antiquités fut en partie vendue et l’autre donnée au Getty en 1996 – ou d’autres, il nous est arrivé de recevoir de superbes dons, même si nous avons acheté une partie des œuvres. Par exemple, si vous achetez l’équivalent de 100 millions de dollars d’œuvres d’art pour seulement 20 millions, c’est comme si on vous faisait un don de 80 millions de dollars. Cela n’a rien à voir avec le fait de mendier au coin de la rue, et c’est ce que je fais depuis trente ans.

Le musée sera-t-il la figure de proue au sein des institutions et des directions du Getty ?
Oui, mais pas au point d’éclipser ni de minimiser le rôle des autres institutions. Celles-ci sont essentielles et je m’en occuperai personnellement.

Comment comptez-vous organiser de grandes expositions ?
Il est clair que nous ne pouvons présenter ce genre d’expositions dans nos espaces. Nous devons donc nous associer avec d’autres centres d’exposition partout dans le monde, mais surtout à Los Angeles, l’Exposition Park par exemple. Des accords devront être passés. Et puis il y a les nouvelles technologies, les sites du web, les vidéos, les cédéroms. Ce monde muséographique est totalement différent de celui dans lequel j’ai grandi à Brooklyn. À l’époque, le seul moyen d’accéder au musée était d’y aller.

Le nouveau Getty s’engage-t-il à faciliter l’accès au musée, rôle qui n’est habituellement pas le sien ?
Oui. La plupart des gens pensent qu’il refuse ce rôle. Mais moi, je l’accepte, et le conseil d’administration m’a dit “Venez nous aider à remplir cette tâche.”

D’après vous, en quoi votre expérience du monde des affaires pourra-t-elle être bénéfique au Getty ?
En matière de rigueur, de responsabilité financière, de maîtrise de l’organisation. Beaucoup de gens dans le monde de l’art pensent qu’au cours des quinze dernières années, le Getty est devenu un bon musée, mais que si les fonds n’avaient pas été consacrés à la construction du nouveau centre, il aurait pu devenir un très grand musée.

À quoi ne doit-on pas s’attendre de la part du Getty sous votre présidence ?
Le Getty ne changera pas le monde à lui tout seul. Même s’il a une grande influence, les résultats ne seront pas immédiats. On peut attendre du Getty qu’il joue son rôle parmi les différents acteurs du monde de l’art, mais pas qu’il se pose en ultime recours.

L’implantation du Getty sur la côte Pacifique et le manque de grandes collections d’art chinois à Los Angeles ne plaident-ils pas pour la constitution d’une collection d’œuvres d’art asiatique ?
Nous n’allons pas nous transformer en grand musée encyclopédique. J’adorerais pouvoir créer des partenariats avec certaines des fabuleuses collections asiatiques, qu’elles soient publi­ques ou privées. Nous pouvons exposer leurs collections, les gérer à leur place, les restaurer et en assurer la conservation. Nous nous sommes agrandis, et j’espère que ce n’est pas seulement pour les acquisitions.

Quelle est votre œuvre d’art préférée dans le musée ?
Le collage photographique de David Hockney que nous venons d’acquérir. C’est une œuvre spectaculaire.

Nous reviendrons dans notre prochain numéro sur l’histoire et l’évolution du Getty Trust, avec notamment l’interview du seul conservateur ayant travaillé avec le fondateur, J. Paul Getty.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°49 du 5 décembre 1997, avec le titre suivant : Du haut de Brentwood, le Getty nous contemple…

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