New York : un événement en trompe-l’œil ?

Par Paul Jeromack · Le Journal des Arts

Le 19 décembre 1997 - 1218 mots

L’art français était en vedette chez Christie’s, mais la grande campagne promotionnelle n’a pas prouvé son efficacité

La manifestation "Arts of France" organisée par Christie’s à New York, le 21 octobre, a été l’une des curiosités de la saison. La plupart des tableaux, meubles et arts décoratifs vendus chez Christie’s étant de toute façon français, cet "événement" est apparu comme une manipulation joliment déguisée pour permettre aux marchands parisiens et new-yorkais de céder des œuvres de qualité mais trop souvent vues. Quelques pièces nouvelles y avaient été ajoutées afin de donner un peu de piment à l’ensemble. Les 16 544 435 dollars (97,6 millions de francs) réalisés lors de cette vente constituent un bon résultat. 257 des 330 lots ont été vendus (78 % des lots, 74 % en valeur). Mais selon la plupart des observateurs, une vacation ordinaire aurait produit les mêmes chiffres. La grande campagne promotionnelle n’a pas prouvé son efficacité et le renouvellement de ce genre d’opérations pourrait être remis en question. Voici une sélection des résultats les plus remarquables.

- Jacques Stella, Vierge à l’Enfant avec saint François et saint Jean-Baptiste, estimée 20-30 000 dollars, vendue 30 000 dollars
Ami de Poussin à Rome et peintre officiel du cardinal de Richelieu, Jacques Stella était très apprécié pour ses petits tableaux sur pierre. Celui-ci, peint sur ardoise, en est un bel exemple. Pour des raisons incompréhensibles, Jacques Stella fait partie des artistes les plus négligés et sous-estimés. Ce tableau, emporté à 30 000 dollars (180 000 francs), n’a intéressé que deux collectionneurs privés.

- Cabinet sur piétement d’époque Louis XIV, vers 1690, en marqueterie Boulle, estimé 300-500 000 dollars, vendu 360 000 dollars
Christie’s avait fait un pari avec cet important ensemble de meubles Louis XIV en marqueterie Boulle – la plupart mis en vente par des antiquaires parisiens – qui, peu appréciés des Américains, se sont pourtant étonnamment bien vendus. Cette pièce imposante, qui viendrait de la célèbre collection William Beckford, a obtenu la meilleure enchère du lot à 360 000 dollars (2,1 millions de francs).

- Pendule en bronze doré et patiné, écaille de tortue et ébène, d’époque Louis XIV, par André Charles Boulle, vers 1715, estimée 700 000-1 million de dollars, vendue 900 000 dollars
Acquise pour 666 000 dollars chez Sotheby’s à Monaco en 1989 et mise en vente par Nancy Richardson, c’est l’une des trois versions de cette pendule (les autres se trouvent à Waddesdon Manor et à la Wallace Collection). Malgré la lenteur des enchères, elle a été vendue au téléphone 900 000 dollars (5,4 millions de francs).

- Jean-Antoine Watteau, Fête champêtre : La Musette, estimée 60-80 000 dollars, vendue 430 000 dollars
Vendu à un collectionneur allemand pour 430 000 dollars (2,58 millions de francs), ce tableau – dont on avait perdu la trace depuis 1913 – a été l’achat le plus curieux de la journée. Les toiles de Watteau sont connues pour leur mauvais état, dû à l’utilisation par le peintre de vernis éphémères et à des nettoyages successifs trop rudes, et l’on se demandait ce qui restait de peinture récupérable sous le vernis brun et pâteux. Comme le remarquait un restaurateur, "si le tableau sort bien, il peut valoir deux millions de dollars. Sinon, on peut toujours s’en défaire dans une vente aux enchères."

- Nicolas Lancret, La halte des chasseurs, estimé 400-600 000 dollars, vendu 740 000 dollars
Œuvre d’un peintre très influencé par Watteau et la plus intéressante apparue depuis longtemps sur le marché, elle provient de la même collection argentine que La Musette. Malgré son sujet – la chasse – qui semblait ne pas devoir susciter l’intérêt, un collectionneur privé l’a achetée pour 740 000 dollars (4,4 millions de francs).

- Paire de statuettes en biscuit de Sèvres, Cupidon et Psyché, estimée 7 000-10 000 dollars, vendue 8 000 dollars ; La baigneuse de Falconet, estimée 6 000-8 000 dollars, vendue 8 500 dollars
Longtemps considérées comme lugubres, les statuettes en biscuit de Sèvres s’étaient inhabituellement bien vendues à la vente Firestone en 1991, mais le marché reste sélectif, et même capricieux. Les délicieux pendants du Baiser donné et du Baiser rendu, partis à 14 000 dollars lors de la vente Firestone, ont été emportés à 8 000 dollars (48 000 francs) mais, plus séduisant, Cupidon et Psyché, le groupe de Falconet monté sur un socle taillé, s’est vendu 17 000 dollars – au lieu des 40 000 dollars atteints par une paire sur un socle en lapis bleu à la vente Firestone. La Bai­gneuse de Falconet, pourtant loin d’être rare, a toujours du succès : elle s’est vendue 8 500 dollars (51 000 francs).

- Secrétaire à abattant marqueté, orné de plaques de porcelaine de Sèvres, estampillé Adam Weisweiler, vers 1780, estimée 2,5-4 millions de dollars, vendu 2,15 millions de dollars
Fleuron de la vente, Christie’s lui avait consacré neuf pages du catalogue, illustrées des portraits de ses premiers propriétaires – le grand-duc Paul et l’impératrice Maria Feodorovna de Russie –, de photographies d’archives in situ à Pavlosk, du dessin d’un meuble comparable conservé au Metro­politan Museum de New York... Considérés comme le sommet de l’art de l’ébéniste, les meubles ornés de porcelaine blanche restent des objet très particuliers qui séduisent peu les collectionneurs. Plusieurs marchands pensaient que le secrétaire avait subi d’importantes restaurations, certains allant jusqu’à croire que les curieuses plaques vierges autour de l’ovale central avaient été remplacées au XIXe siècle (les plaques d’origine devaient présenter la belle décoration florale des autres). Vendu par British Rail chez Sotheby’s en 1988 pour 1,9 million de dollars, Chris­tie’s a échoué à faire monter les enchères jusqu’au prix de réserve, bien qu’il semble qu’il y ait eu une offre par téléphone bien réelle, et il a été adjugé 2,15 millions de dollars (12,9 millions de francs).

- Commode Louis XVI en acajou et bronze doré, estampillée Benneman, vers 1787, estimée 700 000-1 million de dollars, vendue 850 000 dollars
Cette élégante commode de belles proportions (dont le pendant est conservé au Louvre), fut d’abord livrée à Madame Thierry de Ville-d’Avray pour l’Hôtel du Garde-Meuble, puis envoyée à Louis XVI pendant le séjour forcé de la famille royale aux Tuileries, en 1792. Les deux meubles furent vendus vers 1795. Acquise par Nancy Richardson en 1986, elle s’est vendue par téléphone au prix imposant de 850 000 dollars (5,1 millions de francs).

- Service de la Table du Roi en porcelaine de Sèvres, vers 1832-38 et 1845, estimé 15-20 000 dollars, vendu 80 000 dollars
Même s’il manque les plats, les 109 pièces de ce service au fond bleu agate comprennent soixante et une assiettes plates et vingt-cinq assiettes à soupe, ce qui le rend plus adapté au style de vie contemporain. Avec son motif classique et une dorure très fine, il avait toutes les qualités pour séduire de nombreux acheteurs et a été vendu, sur enchère té-léphonique, à 80 000 dollars (480 000 francs).

- Jean-Baptiste Huet, Une famille de lions, estimée 120-180 000 dollars, vendue 400 000 dollars
Cette œuvre tardive mais remarquable d’un artiste plus connu pour ses pastorales à la Boucher commémore la naissance de deux lionceaux au zoo de Paris. Le tableau, qui évoque Stubbs et Agasse, séduit beaucoup les collectionneurs indifférents aux maîtres anciens. Il s’est bien vendu, par téléphone, à 400 000 dollars (2,4 millions de francs).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°50 du 19 décembre 1997, avec le titre suivant : New York : un événement en trompe-l’œil ?

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