Architecture

Brentwood : pour le Meier et pour le pire

Par David d'Arcy · Le Journal des Arts

Le 19 décembre 1997 - 1134 mots

Le tout nouveau Getty Center se voit consacrer deux ouvrages. L’un, signé par son architecte, se présente comme un récit autobiographique. Richard Meier y défend son projet, victime de multiples aléas. L’autre, fruit d’une collaboration entre les principaux responsables du Getty et publié par l’institution, évite soigneusement la polémique et se distingue par la richesse des illustrations.

Richard Meier présente sa création – le nouveau Getty Center, fruit de treize années de travail – sous une forme autobiographique. Pourquoi pas ? L’architecte Frank Lloyd Wright, inspirateur de Meier, a parfois adopté le même procédé, tout comme J. Paul Getty, dont le style était cependant nettement moins ampoulé. D’ailleurs, le récit de Meier traite moins de la conception pure et simple du bâtiment que des péripéties de sa construction.

Les doléances du contractant milliardaire seront peut-être assimilées à des larmes de crocodile. Toutefois, comme pour la plupart des projets architecturaux, le Centre a connu son pesant de luttes et d’adversité. Meier raconte que les responsables du Getty, qui avaient fait preuve “d’intelligence” dans le choix du site, étaient horrifiés par le coût du bâtiment. De plus, explique-t-il, lors de la phase de conception, le Getty Museum et le Getty Trust ont créé une demi-douzaine de branches déléguées qui se sont toutes révélées des clients exigeants. Tandis que les coûts quittaient leur fourchette initiale de 70-100 millions de dollars pour s’élever à 300 millions et at­teindre finalement le milliard de dollars (près de 6 milliards de francs), les délais étaient également repoussés.

Au bout de cinq ans de travaux, le Getty Center a envisagé de nommer un autre architecte pour l’aménagement intérieur, une décision que Meier n’a combattue qu’en partie seulement. Le designer new-yorkais Thierry Despont a alors été choisi pour agencer les salles consacrées au mobilier du XVIIIe siècle – au grand dam de Meier – et ses attributions se sont étendues aux salles des peintures. Richard Meier relate que la décision ultérieure de lui retirer la conception du jardin sur le versant sud de la propriété pour la confier au paysagiste californien Robert Irwin l’a irrité plus encore (les plantations n’atteindront leur maturité que longtemps après l’ouverture du Centre) : “Le plus dur pour moi, c’est qu’Irwin était traité comme un artiste, alors qu’on me reléguait au rang de simple architecte. Son travail était considéré comme sacro-saint et ses budgets à peine discutés, tandis que l’on dédaignait ma propre contribution”.

Il y eut ensuite les comités de voisinage qui craignaient que le Getty suscite trop de curiosité, qu’il amène trop de bruit, trop d’encombrements, et surtout qu’il attire ces “masses prolétariennes” que le Centre aspire à éduquer du haut de sa colline. Si les bâtiments sont peu élevés, affirment les voisins, c’est pour empêcher que les cambrioleurs potentiels ne profitent de leur visite du Getty pour repérer les environs.

Leur opposition farouche à un projet de forteresse blanche et immaculée dans les collines de Brent­wood a obligé Meier a choisir la pierre et l’albâtre pour recouvrir la plus grande partie du musée. Le tout est d’une teinte écrue, “paille” dira le Centre, et la pierre change de couleur en fonction de la luminosité. De près, elle révèle un autre secret : un grand nombre de blocs sont ornés de végétaux fossiles emprisonnés dans le marbre, que l’architecte a pris soin de placer à hauteur d’homme.
Les critiques ont avancé que le choix du site était un compromis : l’aspect majestueux aurait prévalu sur la commodité d’accès et les nouvelles orientations “populistes” du Centre, puisque le Getty avait eu, au début des années quatre-vingt, la possibilité d’acquérir l’Ambas­sador Hotel, plus central, où Robert F. Ken­nedy fut assassiné en 1968. Meier, cependant, est resté attaché à sa colline de Brentwood – la qualité de son sol, de la pierre –, à ses contours topographiques “extrêmement vivaces”, et à son panorama “incontestablement spec­tacu­laire”. Selon lui, le choix d’un site plus central aurait été une concession inacceptable.

Une version consensuelle
La version officielle publiée par le Getty Trust, Making architecture : the Getty Center, comprend des articles de Meier, d’Ada Louise Huxtable, spécialiste d’architecture, de Stephen D. Rountree, directeur du projet, ainsi que du président-directeur général du Getty Center, Harold M. Williams. Comme on pouvait s’y attendre, il ne s’agit pas d’un ouvrage polémique et, par bonheur, les articles sont courts. Les différentes équipes ayant œuvré au projet y sont à l’honneur ; les difficultés auxquelles elles ont été confrontées sont bien détaillées. Dans son article, Ada Huxtable – membre de la commission qui a sélectionné Meier – refuse et anticipe toute critique dénonçant l’élitisme sous-jacent du projet, et son coût excessif : “Tout ce que [le Centre] peut offrir sera pleinement reçu, sans que l’on se préoccupe spécialement de l’image, du symbolisme ou des polémiques relatives à l’aspect philanthropique de la chose”, prédit-elle. Et si l’on se réfère à l’engouement suscité par l’ancien Getty Museum dans sa villa romaine reconstituée, à Malibu, Ada Huxtable a certainement raison.

Par ailleurs, les photographies, plans et croquis réalisés au cours des treize dernières années évoquent mieux l’histoire du Centre que les textes. Les dessins de Thierry Despont pour les salles consacrées au XVIIIe siècle et les plans de Robert Irwin pour les jardins sont également inclus.
En dépit des accrocs et déboires relatés dans les deux ouvrages, Richard Meier sort largement vainqueur. Le Getty est resté fidèle à son projet et au choix du site, malgré les critiques. Avant même d’être sélectionné, Meier était convaincu que “l’aspect citadelle était quasi inévitable”, tout comme l’analogie avec un bourg toscan au sommet d’une colline. “J’ai pensé que le Centre ne devait pas donner l’impression de s’excuser d’exister. J’ai cru que, par-dessus tout, il devait émaner de lui l’assurance et l’idéalisme propres à une institution vouée à la promotion des arts”.

Puisque, selon les termes du permis de construire, le domaine n’est pas autorisé à s’agrandir au-delà de son périmètre actuel, il devra garder sienne la conception de Meier, sinon éternellement, du moins pour plusieurs décennies. Ce qui n’empêche pas l’auteur du Getty de déplorer que le coût et le temps consacrés à la création du Centre aient pu nuire à sa réputation d’architecte et l’avoir écarté d’office de certains projets (il n’a pas été sollicité, par exemple, dans le cadre de la rénovation du Museum of Modern Art). D’autres clients se montrent moins effarouchés, cependant. Meier conçoit actuellement une Église pour l’An 2000, dans les environs de Rome, pour son nouveau commanditaire : le Vatican.

Richard Meier, Building the Getty, Knopf, New York, 210 p., 100 ill. n&b, 35 dollars (environ 200 F), ISBN 0375400435.
Richard Meier, Harold M. Williams, Ada Louise Huxtable et Stephen D. Rountree, Making architecture : the Getty Center, Getty Center, Los Angeles, 168 p., 75 ill. n&b, 75 ill. coul., 50 dollars (environ 300 F), ISBN 0892364637.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°50 du 19 décembre 1997, avec le titre suivant : Brentwood : pour le Meier et pour le pire

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