Du moins bon au très bon sans véritable unité

Le galeriste Marwan Hoss commente les dernières ventes d’art moderne et contemporain à Drouot

Le Journal des Arts

Le 3 janvier 1998 - 1346 mots

Du 7 au 19 décembre, neuf études parisiennes ont dispersé des œuvres modernes et contemporaines. Nous avons demandé à Marwan Hoss, dont la galerie d’art contemporain est installée dans le premier arrondissement de Paris, de commenter ces ventes. Il regrette que des œuvres de qualité inégale et sans véritable unité apparente aient été présentées au cours de nombre de ces adjudications. Il s’en explique.

PARIS - Pour Marwan Hoss, en feuilletant un catalogue de Drouot, un collectionneur intelligent et de dimension internationale sera choqué par le manque de compétence et d’exigence de certains commissaires-priseurs français. Alors que So­theby’s et Christie’s effectuent toujours une sélection préalable, les Français font le plus souvent du bricolage, avec quelquefois une vente intéressante. La présentation des œuvres à l’hôtel Drouot en est une autre preuve : aucune étude ne se donne par exemple la peine de réencadrer un tableau ou de l’accrocher correctement.

Les dernières vacations parisiennes sont d’ailleurs révélatrices de la regrettable disparité des œuvres. Par son côté fourre-tout, la vente Piasa du 12 décembre était en cela typiquement française. Le dessin de Roger de la Fresnaye, Étude de personnage, a trouvé preneur bien en dessous de sa véritable valeur. Estimé 6 000 à 8 000 francs, il aurait dû être emporté à 25 000 francs plutôt qu’à 13 000, car l’œuvre est fine et intéressante. La vacation organisée par Me Cornette de Saint Cyr était tout aussi “drouesque”. Des multiples exposés à côté d’huiles, des lithographies mélangées avec des sculptures, lesquelles étaient présentées avec des dessins, sans aucun souci de mettre en valeur des œuvres de qualité. L’acrylique sur toile de Keith Haring, Boxeurs (ill. 1), œuvre importante qui était correctement estimée 400 000 à 600 000 francs, aurait certainement dépassé 575 000 francs si elle était passée dans une vente cohérente.

Quant à l’adjudication du 8 dé­cembre dirigée par Me Millon, elle n’est pas moins représentative de cette matière. Logiquement, la très belle encre sur papier de Jacques Lipchitz, Étude de personnage (ill. 2), estimée 40 000 francs, n’a pas été vendue ; ni la rare Compo­sition de Voshadig Gorky, pourtant estimée 75 000 francs seulement. Et même le bronze de Picasso, Femme accroupie, qui n’est pas un chef-d’œuvre mais aurait dû partir facilement à 300 000 francs, n’a pas trouvé preneur alors qu’il n’était estimé que 180 000 à 200 000 francs. La Compo­sition d’Hans Har­tung , estimée 200 000 à 250 000 francs, n’avait pas sa place dans cette vente. Non vendue, comme les trois œuvres d’Andy Warhol, elle reflète une appréciation erronée du marché.

Mauvaises estimations
Lorsque l’estimation est à 90 % en dessous de la valeur de l’œuvre, il n’est pas possible de dire que le marché est reparti sous prétexte que son prix atteint le triple. Aussi ne faut-il pas se laisser berner par l’apparente effervescence de ces adjudications, car les pièces sont estimées en parfaite méconnaissance de la réalité. En tant que marchand de Pablo Gargallo, j’ai par exemple été très surpris par l’estimation de deux œuvres de cet artiste, figurant dans la vente Piasa du 12 dé­cembre. Le bronze à patine verte Faunesse de face (ill. 5) était en effet proposé entre 10 000 et 12 000 francs, alors que le dessin Jeune femme aux cruches était estimé 20 000 à 25 000 francs.

L’un et l’autre sont partis juste au-dessus du seuil que je m’étais fixé, 83 000 francs pour la sculpture et 52 000 francs pour l’œuvre sur papier, mais à des prix en rapport avec leur valeur. De même chez Me Binoche, le 19 décembre, un ravissant mobile (8 cm x 13 cm) en métal peint monogrammé de Calder (ill. 4) a été vendu 170 000 francs, alors qu’il n’était estimé que 20 000 francs. Cette pièce excessivement séduisante, mise à prix 10 000 francs, est immédiatement passée à 100 000 francs. Je déduis de ces trois exemples que ces pièces sont des appâts destinés à attirer des amateurs qui, sans cela, ne se déplaceraient pas.

Adjudications trop élevées
Plus qu’une reprise, je pense que le manque de qualité perturbe l’analyse du collectionneur. Bien que les sculptures de Picasso soient rares et recherchées, la Tête de fou (ill. 6) a trouvé preneur bien au-delà de sa véritable valeur. Adjugé 2,15 millions de francs, ce bronze à patine noire n’aurait pas dû dépasser 1,2 million, car il n’est pas significatif de son œuvre sculpté. Les acquéreurs se sont sans doute laissés séduire par le nom de l’artiste et le matériau employé. Le marché anglo-saxon aurait probablement sanctionné cette pièce.

Comme le Portrait de jeune fille à la robe bleue (ill. 3), par Pierre-Auguste Renoir. Estimé 1,5 à 1,8 million de francs, ce tableau “ba­teau” insignifiant et mal composé, n’aurait jamais dû trouver preneur à 2 millions, mais plutôt à 800 000 francs. De même, l’huile sur toile Tête d’hom­me II, estimée 1 à 1,3 million, n’aurait jamais dû atteindre 2,37 millions car elle est laide. Ce prix reflète une incompétence totale de l’ache­teur et de son conseiller. Je suis également stupéfait que la cire sur papier marouflé sur carton de Victor Brauner, Sans titre, ait atteint 665 500 francs. Œuvre quelconque, elle n’aurait jamais dû dépasser son estimation de 350 000 à 450 000 francs.

Des œuvres de qualité internationale
Certaines œuvres ont néanmoins trouvé preneur à leur juste va­leur. Lors de la vente dirigée par Me Briest, le 13 décembre, la Cariatide d’Amedeo Modigliani (ill. 10), estimée 400 000 à 600 000 francs, a ainsi été normalement adjugée 587 000 francs, compte tenu de son état. De même, Le chant - Étude pour une cheminée a été bien estimée de 1,8 à 2,2 millions de francs, en tenant compte de la fragilité du marché. Et la différence avec le prix d’adjudication, 3,25 millions, relève uniquement de la qualité de l’œuvre, car il s’agit d’un très beau tableau musical, rare et chargé de mystère. Le dessin de Picasso, Fem­me nue de­bout, estimé 500 000 à 600 000 francs, est une œuvre de qualité internationale. Il est normalement parti à 2,05 millions, ce qui est toutefois un peu excessif.

Tout comme Made­moi­selle Mine orange de Jean Du­buffet, qui était estimée 1,2 à 1,3 million de francs. Elle a logiquement trouvé preneur à 2,54 millions, car l’œuvre le mérite. Emporté à 216 000 francs, Le coup de grâce (ill. 9) d’Oscar Dominguez, estimé 180 000 à 220 000 francs, a encore fait sa cote, comme la Course de taureaux, qui était estimée 400 000 à 500 000 francs et est partie à 443 000 francs. La gouache de Victor Brauner, Oiseau (ill. 8), adjugée chez Me Loudmer le 15 décembre, a également été emportée à son prix. Quoique peu importante, son aspect charmant justifiait l’estimation de 35 000 francs.

La meilleure vacation demeure néanmoins celle dirigée par Me Tajan, le 7 décembre. Orga­nisée autour de pièces abstraites et contemporaines, elle présentait une bonne cohérence qui a permis aux œuvres de trouver preneur à des prix intéressants. Par exemple, la Composition, 1963 de Zao Wou-ki, qui était estimée 500 000 à 600 000 francs, a été adjugée 620 000 francs. Le cas de cet artiste est un peu à part, son œuvre faisant l’objet d’une sorte de spéculation. La Composition de Pierre Soulages (ill. 7), bien estimée de 250 000 à 300 000 francs, a été adjugée 200 000 francs. Ces adjudications démontrent que des œuvres intéressantes et se faisant écho peuvent toujours se vendre à de bons prix.

Quoique légèrement surestimée à 400 000 ou 450 000 francs, le ravalement de la sculpture de Jean Tinguely, La chèvre, montre en revanche un désintéressement certain du public. Cette œuvre assez poussée aurait dû partir à 250 000 ou 300 000 francs. Il est tout aussi regrettable que Cou­verture pliée sur bois d’Antoni Tàpies, estimée 500 000 à 700 000 francs, n’ait pas été vendue, car elle est de qualité et tout à fait accessible. De même, le bois peint de Louise Nevelson, Sans Titre, vers 1960, aurait dû trouver preneur ; son estimation de 400 000 à 600 000 francs était tout à fait correcte.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°51 du 3 janvier 1998, avec le titre suivant : Du moins bon au très bon sans véritable unité

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque