Silence, on vole…

Les musées hésitent encore à divulguer les “disparitions”?

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 3 janvier 1998 - 612 mots

Les musées devraient-ils médiatiser les vols dont ils sont victimes ? Face aux résultats encourageants obtenus par d’actives campagnes de presse, la loi du silence commence à tomber en France, où l’on croit de plus en plus au rôle dissuasif de ce genre de publicité. Les pièces de musées étant de toute façon difficilement vendables, on estime que parler ne met pas davantage en danger la sécurité de l’œuvre que se taire. Reste la crainte de faire fuir les donateurs, d’attirer l’attention des malfaiteurs sur un système de protection défaillant ou de nuire à la réputation du musée… Autant de raisons qui influent également sur l’attitude des responsables des musées britanniques.

Dans la nuit du 3 février 1996, des cambrioleurs s’introduisent dans l’un des ateliers de conservation du British Museum et emportent trois pièces : deux reliures persanes du XVIe siècle, une statuette Kakiemon et un coffre japonais laqué du XVIIe. L’information n’est communiquée qu’à la presse spécialisée. Dans Trace Magazine, on peut lire que le vol s’est produit “dans un atelier de conservation de Londres”, tandis que la rédaction de l’Antiques Trade Gazette  se contente d’indiquer le code postal du lieu du délit. Ces deux communiqués ne mentionnent nullement que les objets dérobés sont de grande valeur, ni même qu’ils appartiennent à une collection nationale. Il faut attendre le 27 avril 1997 pour que les détails du vol soient divulgués par le Sunday Times, qui en a eu connaissance par un rapport d’audit. Le mois dernier, un porte-parole du British Museum s’est expliqué sur ce silence : “Avant de rendre public ces vols – qui sont fort rares –, nous voulions nous assurer que la presse à sensation ne s’en servirait pas contre nous.” Le musée a donc pris la décision de ne pas avertir les médias, tout en étant prêt à répondre si des questions lui étaient posées.

Nos correspondants anglais ont répertorié 18 vols d’envergure nationale perpétrés sur le territoire britannique depuis 1990. Il apparaît que sur les dix vols auxquels les journaux ont donné un large écho, sept ont été élucidés et les pièces retrouvées. Ce fut le cas des monnaies romaines du British Museum, de l’autel miniature et du coffret florentin du Victoria & Albert, de pierres anciennes et de bouteilles françaises conservées à l’Ashmolean Mu­seum, d’une peinture de Van Kessel et de montres anciennes au Fitzwilliam Mu­seum, de tableaux de Wallis et Christus à Bir­mingham, et d’une toile de Lowry exposée à Glasgow. En revanche, parmi les huit autres vols moins couverts par la presse, seuls les objets en or dérobés au Museum of Mankind ont pu être récupérés.

Effrayer les donateurs ?
La conclusion de cette enquête semble évidente : un battage médiatique peut aider à retrouver un objet disparu. Certes, les vols dont la presse se fait l’écho sont ceux qui, de l’avis des musées, ont le plus de chances d’être élucidés. D’autre part, la sélection de nos correspondants est inévitablement arbitraire. Cependant, la balance semble pencher en faveur de la divulgation des vols. Comment expliquer alors la pudeur des directeurs de grands musées ? Parmi les raisons invoquées officiellement, figure la crainte d’attirer l’attention des malfaiteurs sur leurs collections ou d’effrayer les donateurs. Mais sans doute ont-ils également peur que la réputation de leur musée puisse souffrir si le système de protection s’est montré défaillant...

Peter Osborne, conseiller en sécurité auprès de la Museums & Galleries Commission, affirme pourtant : “Rien ne s’oppose à ce que l’on rende publics les vols ; cela peut même aider à retrouver les pièces.” À la suite de l’enquête menée par nos correspondants, il a décidé de rédiger de nouvelles consignes dans ce sens à l’attention des musées.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°51 du 3 janvier 1998, avec le titre suivant : Silence, on vole…

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