L’actualité de 1997 vue par Pierre Rosenberg

Président-directeur du Musée du Louvre

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 3 janvier 1998 - 1038 mots

Notre section Vernissage (lire pages 11 à 26) est consacrée à 1998, mais l’année achevée a apporté sa moisson d’événements et de non-événements. Pierre Rosenberg, président-directeur du Musée du Louvre, membre de l’Académie française, en dégage quelques tendances majeures.

Pour les musées, quels sont selon vous les événements majeurs de 1997 ?
Deux grands événements architecturaux : le Guggenheim à Bilbao et le Getty à Los Angeles. Ils prouvent qu’aujourd’hui, un architecte a besoin de construire un musée pour être consacré. Cette constatation pouvait déjà être faite les années précédentes, mais elle a pris en 1997 une dimension encore plus forte.

Cette consécration à travers le musée vous paraît plus décisive qu’à travers un autre bâtiment public, comme un opéra.
Je le crois. Déjà au XIXe siècle, des architectes sont devenus célèbres grâce à des musées, comme Semper. Garnier est synonyme d’un opéra, mais on en construit aujourd’hui moins que de musées. Gehry sera synonyme du Guggenheim de Bilbao, comme Hans Hollein de Moenchengladbach. Le phénomène est ancien. Il s’est arrêté, il a repris avec Piano et Rogers pour le Centre Pompidou, Pei pour la National Gallery de Washington puis le Louvre… Ernst Beyeler a fait appel à Renzo Piano pour sa fondation à Riehen. Cette année, le phénomène est devenu éclatant.

En dehors de l’architecture, l’ouverture du Getty Center est-il un temps fort de 1997 ?
Indéniablement. L’institution a beaucoup changé avec le temps. Au départ, elle avait des ambitions considérables et croyait qu’il n’était pas trop tard pour rassembler une collection et devenir l’un des grands musées du monde. Elle s’est aperçu du contraire, et que l’argent n’était pas le seul facteur de réussite. Elle a dû opter pour d’autres directions, comme la photographie pour les acquisitions, et créer différents centres en s’appuyant sur la technologie moderne. Le Getty ambitionne au­jourd’hui d’être un point de passage obligé pour toute recherche scientifique en histoire de l’art. Mais ce qui me paraît également important, c’est que le Getty – avec le Lacma, le Norton Simon, le Huntington, le Moca – fait de Los Angeles la seconde capitale des États-Unis. Un pôle très particulier, puisqu’il est loin de New York, encore plus loin de l’Europe et plus proche de l’Amérique latine et de l’Asie. C’est une autre Amérique, avec un style de vie différent de New York : voilà une ville complètement désarticulée qui devient une métropole rivale.

En Angleterre, l’année a été marquée par un débat sur la gratuité des musées.
C’est à l’honneur des musées anglais d’avoir pu la maintenir contre vents et marées, en dépit des volontés de Mrs Thatcher. Il est curieux qu’un gouvernement travailliste envisage de la supprimer, comme il a été étonnant qu’en France la gratuité au Louvre le dimanche ait été supprimée en janvier 1990. Le ministre anglais est venu au Louvre pour s’informer. Nous sommes payants parce que nous ne pouvons pas faire autrement mais, en soi, la gratuité est une mesure admirable. Si l’Angleterre tombe…

En France, la question des MNR a été pendant quelques mois au centre des préoccupations.
Je crois que le message est passé, que le public a compris que les MNR ne sont qu’exceptionnellement des biens juifs et en grande majorité des œuvres acquises par les Alle­mands sur le marché parisien, dans des conditions souvent obscures, et auprès de marchands ou de commissaires-priseurs qui ne se sont pas vantés ensuite de l’avoir fait.

En revanche, l’adaptation de la législation sur la protection du patrimoine, l’affectation d’une partie des recettes de la Lo­terie n’ont pas occupé les esprits.
Personne ne semble se rendre compte, en Fran­ce, qu’il est essentiel de réfléchir et d’avancer. La France a opté pour un système libéral sans s’en donner les moyens. La Loterie existe de longue date dans les Länder allemands, maintenant en Angleterre avec le succès que l’on sait, et vient d’être créée en Italie. Je suis surpris qu’on nous rétorque qu’il est impossible de le faire en France pour toutes sortes de raisons techniques, alors que je suis convaincu que les Français, qui se sentent un peu coupables de jouer, participeraient volontiers à cette loterie en sachant qu’une partie des recettes est affectée à la défense du patrimoine. Si on ne prend pas rapidement cette mesure, on en payera longtemps les conséquences.

Autre serpent de mer, l’enseignement de l’histoire de l’art dans les lycées.
C’est vrai, on a l’impression regrettable que les choses ne bougent pas.

1997 a vu le report de l’ouverture du marché des ventes publiques françaises aux sociétés étrangères.
Je pense que pour le domaine que je connais, l’art ancien, ne compteront à Paris dans quelques années que Christie’s et Sotheby’s, d’une part, et d’autre part, un groupe de jeunes marchands,qui ont entre 25 et 35 ans. Ils sont tout à fait remarquables, ils ont “de l’œil”, ils ont un vrai respect pour la science. À mon avis, ils n’ont pas leur équivalent à Londres. Ils ont une chance à Paris, car l’Hôtel Drouot n’existera très vraisemblablement plus. J’espère que le marché aux puces survivra.

Pensez-vous que la polémique sur l’art contemporain qui a agité 1997 restera dans les annales ?
J’ai été très frappé de constater qu’elle a été extraordinairement parisienne, qu’en dehors de Paris le débat n’a intéressé personne, ni à Berlin, ni à Londres, ni aux États-Unis. Paris a pris du retard, s’est rétréci. J’ai vu “Sensation” à la Royal Academy. Les œuvres sont inégales, les recherches partent dans des directions multiples, parfois dans un grand désordre. Mais l’exposition montre l’extraordinaire vitalité artistique de Londres. Où auriez-vous vu une telle exposition à Paris ? Montrer Bruce Nauman, c’est très bien, mais c’est de l’histoire.

Vous êtes l’un des commissaires de Georges de La Tour, événement de 1997.
Je me demande si La Tour n’a pas porté tort aux autres expositions parisiennes, à la très belle exposition Prud’hon, à l’admirable Pajou au Louvre, à Hammershøi à Orsay… ? La question se pose de savoir si le ministère des Finances ne va pas contraindre la Réunion des musées nationaux à renoncer à ce type d’expositions pour ne produire que La Tour. La Tour n’a de sens que si cela permet de faire Prud’hon, Pajou…

Cette crainte a déjà été évoquée les années précédentes.
Oui, bien sûr. Mais en 1997, elle est devenue plus aiguë.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°51 du 3 janvier 1998, avec le titre suivant : L’actualité de 1997 vue par Pierre Rosenberg

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