La ruée vers les fonds d’or

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2009 - 1026 mots

Les primitifs italiens voient leur cote grimper, grâce à l’engouement de nouveaux acheteurs. Mais les collectionneurs français sont à la traîne sur ce marché.

Les tableaux italiens  du XIIIe au XVe siècle portent sur une période de l’art dont il reste très peu d’œuvres en circulation et requièrent un œil averti. « C’est un domaine difficile et un très petit marché. Mes clients sont des gens cultivés. Pour les jeunes amateurs qui s’y intéressent, cela demande une certaine préparation », souligne le marchand parisien Giovanni Sarti, une des rares pointures mondiales dans cette spécialité. « Les primitifs italiens touchent une clientèle réduite mais active », renchérit Nicolas Joly, spécialiste international en tableaux anciens chez Sotheby’s à Londres. Les acheteurs se trouvent en Europe et en Amérique du Nord et du Sud. De nombreuses banques italiennes qui montent des collections de fonds d’or font partie des acteurs importants de ce marché. Un panneau illustrant Sainte Lucie par le Maître de l’Observance, artiste siennois du XVe siècle, a été acheté par la fondation Monte dei Paschi de Sienne pour 825 250 livres sterling (1 million d’euros), le double de son estimation, le 9 juillet 2008 à Londres chez Sotheby’s. « Depuis cinq ou six ans, on assiste à une vraie montée en puissance des primitifs italiens, note Nicolas Joly. Il a suffi de quelques acheteurs sud-américains et collectionneurs privés italiens de plus – lesquels n’étaient pas présents sur ce marché il y a dix ans – pour changer la donne. Le phénomène de rareté des tableaux joue sur la hausse des prix. Les amateurs se disent que c’est le moment ou jamais d’acquérir des grands maîtres de cette période. » Le 29 janvier 2009 à New York chez Sotheby’s, plusieurs amateurs sud-américains se sont battus pour emporter Le Mage Hermogène jetant ses livres de magie dans le fleuve, panneau du grand peintre florentin Lorenzo Monaco, actif à la fin du XIVe-début du XVe siècle. Outre son sujet plaisant, l’œuvre était dans un bon état de conservation. Estimé solidement 800 000 dollars à 1,2 million de dollars, le tableau est parti à 1,4 million de dollars (1 million d’euros).
« Parce que cette peinture, indépendamment de son côté religieux, offre une image résolument moderne, une force simple et une lecture directe, elle séduit aussi de nouveaux acheteurs, souvent amateurs d’art contemporain », relève encore Nicolas Joly. « Par sa modernité, la peinture primitive attire des collectionneurs d’art contemporain », confirme Giovanni Sarti. Ainsi La Présentation au Temple de Jésus, tableau réalisé vers 1336-1338 par le peintre florentin Bernardo Daddi, exposé à la galerie G. Sarti : son fond de couleurs dégradées n’est pas sans rappeler une composition de l’expressionniste abstrait Mark Rothko ; le motif de l’autel fait penser à celui d’un tapis des années 1930 et les visages évoquent même certains dessins de Pablo Picasso.

La Madone à l’Enfant d’abord
Parmi les critères de sélection d’une œuvre, il faut considérer la notoriété de l’artiste ou de l’école, l’état de conservation, l’attrait du sujet et son traitement pictural (subtilité des coloris, élégance de la ligne et expressivité des personnages). La Madone à l’Enfant est le thème le plus apprécié, tandis que les scènes de crucifixion sont plus difficiles à vendre à des non-initiés. Le 8 juillet à Londres chez Sotheby’s, un Triptyque de la Passion du Christ par le Maître de Fossa, exécuté dans la première moitié du XIVe siècle et estimé 200 000 livres (230 000 euros), n’a pas trouvé preneur. Le sujet n’était pas très commercial et le peintre, actif en Ombrie, était peu connu.
On peut par ailleurs être surpris de l’absence d’acheteurs privés français sur ce marché, « même pour les très accessibles petits formats de petits maîtres, observe Nicolas Joly. Pourtant, il y a en France une vraie tradition culturelle… ». En revanche, les musées français achètent volontiers en ventes publiques, quand leurs moyens les y autorisent. Le 22 janvier 2004 à New York chez Sotheby’s, le Musée Fabre de Montpellier a acquis une Nativité du début du XIVe siècle par Pietro da Rimini pour 187 200 dollars. Le 29 janvier 2009, toujours à New York chez Sotheby’s, le Musée des beaux-arts de Nantes visait une paire de fonds d’or peints au XIVe siècle par le Maître de la Miséricorde, représentant pour l’un La Vierge, pour l’autre Saint Jean. Ces deux panneaux latéraux auraient formé une prédelle complète avec le panneau central du Christ conservé par l’institution. Estimée seulement 60 000 dollars, la paire est montée à 170 500 dollars. Le musée n’a pas pu suivre.

Flambée pour Tommè

Présentés chez Sotheby’s à Londres le 8 juillet, trois panneaux de Luca di Tommè représentant pour l’un Saint Michel, pour le deuxième Saint Jean Gualbert et enfin l’évêque de Parme Saint Bernard degli (ill. ci-contre), estimés 400 000 à 600 000 livres sterling chacun (460 000 à 700 000 euros), ont été respectivement adjugés 847 650, 914 850 et 937 250 livres (980 000 euros, 1 million et 1,1 million d’euros), ce dernier prix constituant un record pour l’artiste. Le Saint Michel a été emporté par un amateur chilien, tandis que les deux autres ont rejoint une collection privée italienne. Peintes à Sienne autour de 1350, ces trois œuvres sont des éléments d’un polyptyque réalisé pour l’église Saint-Michel de Sienne. Conservés jusqu’à aujourd’hui dans un état exceptionnel, les trois panneaux avaient fait partie de la prestigieuse collection Henri Chalandon, avant de changer de mains dans les années 1950. Il est aussi intéressant de noter que, dans la même vente, s’offrait aux amateurs de fonds d’or une paire de panneaux par Bernardo Daddi montrant Saint Jean l’Évangéliste et Saint François. Celle-ci provenait également de la collection Chalandon et n’était pas non plus passée sur le marché depuis un demi-siècle. Bien qu’estimée 600 000 à 800 000 livres (c’est-à-dire plus chère que les Tommè), cette paire n’a pas dépassé les 601 250 livres (700 000 euros). Pour l’expert de la maison de ventes Nicolas Joly, « Daddi est un peintre florentin bien plus important que Tommè, mais comparativement, la paire de panneaux de Daddi était plus austère, et donc moins commerciale que les trois Tommè de la vente ».

« Des restaurations précautionneuses »

Giovanni Sarti, galeriste et expert en tableaux primitifs italiens du XIIIe au XVe siècle, Paris

Quel nouvel éclairage a apporté l’exposition de tableaux italiens des XIVe et XVe siècles organisée dans votre galerie en 2008 ?
Alors que l’on a encore tendance aujourd’hui à ne mettre en avant que les centres toscans de production artistique, en particulier ceux de Florence et de Sienne, nous avions réuni une sélection de peintures d’artistes et d’écoles de toutes les régions d’Italie dont la découverte et l’étude sont pour la plupart relativement récentes. Nous présentions notamment : une Vierge à l’Enfant de Francesco Traini, le plus important peintre de Pise au XIVe siècle, et une autre d’Andrea di Nerio, chef de l’école d’Arezzo à la même époque ; une Crucifixion du milieu du XIVe siècle par le Vénitien Paolo Veneziano et son atelier ; un petit panneau d’Antonio di Atri, actif dans les Abruzzes à la fin du XIVe-début du XVe siècle, ou encore une très expressive représentation du Pape saint Pierre par Pietro di Domenico da Montepulciano, un des plus éminents artistes des Marches au début du XVe siècle. Citons aussi une Vierge à l’Enfant de Francesco Benaglio, peintre majeur du troisième quart du XVe siècle à Vérone, et un très beau panneau par le Maître de la Madone de Liverpool, actif à Rome et en Ombrie dans les années 1480-1510.

Quel état de conservation est-il préférable de privilégier ?
Les restaurations doivent être raisonnables et ne pas excéder 15 % de la surface du tableau. Elles doivent être faites de façon muséale, c’est-à-dire avec des nettoyages très attentifs et précautionneux (le plus dangereux est l’altération définitive de la surface picturale à ce moment-là), et avec d’éventuelles reconstitutions visibles à l’œil nu (dites a trattegio).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°308 du 4 septembre 2009, avec le titre suivant : La ruée vers les fonds d’or

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