Biennale

L’Estuaire à la manœuvre

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2009 - 729 mots

Pour sa deuxième édition, la biennale d’art contemporain qui s’étend de Nantes à Saint-Nazaire poursuit et accentue le maillage territorial engagé en 2007.

Tatzu Nishi a de nouveau sévi! Seul intervenant de la première édition, en 2007, du parcours «Estuaire Nantes <> Saint-Nazaire» à être réinvité cette année, l’artiste japonais jamais avare de projets aussi délirants que démesurés avait installé l’an dernier une chambre d’hôtel autour d’une fontaine. Cette fois, il a jeté son dévolu sur la centrale thermoélectrique de Bouée (Loire-Atlantique). Dans la perspective des immenses cheminées rouge et blanc, il a inscrit sur le site, au bord de l’eau, sa Villa cheminée (2009) faite d’une… cheminée de quinzemètres de hauteur sur laquelle trône une… villa entièrement aménagée pouvant aisément servir de refuge pour la nuit. Le mariage des genres fait mouche. Et le kitsch pavillonnaire s’accommode à merveille de la sévérité industrielle face à un estuaire de la Loire magnifiquement pétri de contradictions paysagères, entre nature propice à la contemplation et industrie lourde.
Appelée à se maintenir sur le site, sa contribution rejoint celles de Felice Varini, Erwin Wurm, Daniel Buren, Jeppe Hein, Ange Leccia, Kinya Maruyama et Tadashi Kawamata conservées depuis la précédente édition, des propositions qui sont cette année rejointes par celles de Roman Signer, Gilles Clément, Jimmie Durham et l’Atelier Van Lieshout, portant ainsi à douze le nombre d’œuvres pérennes.
Chemin faisant, «Estuaire» s’inscrit donc de plus en plus sûrement sur un territoire que la manifestation se propose de faire (re)découvrir en participant à son aménagement. Elle contribue ainsi à offrir aux sites concernés une vie nouvelle, ou tout du moins en propose un autre visage et en suscite un nouvel attrait. En atteste la transformation progressive mais radicale du toit de la base sous-marine de Saint-Nazaire, sous l’effet de l’installation du Jardin du tiers paysage de Gilles Clément dont la centaine de trembles déjà plantés anime un édifice pour le moins raide.
Tous l’ont bien compris, ainsi qu’en témoigne l’enthousiaste adhésion au projet des quatre communautés de communes situées de part et d’autre de l’estuaire, à laquelle s’ajoute l’engagement des partenaires industriels: Total a fait acte de candidature pour l’installation d’une œuvre sur le site de sa raffinerie de Donges, alors que le groupe Coupechoux a convié Rolf Julius et Angela Bulloch à intervenir l’hiver prochain sur l’immeuble de son siège social, sis sur l’île de Nantes.

Pendule émouvant
À Lavau-sur-Loire, très petite commune qui envisage désormais le développement d’un tourisme environnemental, L’Observatoire de Kawamata a été achevé avec l’adjonction d’un chemin en bois long de huitcents mètres qui serpente entre prairies et roselières jusqu’au village. À Indre, Jimmie Durham fait se déployer, devant le site classé «secret défense» de la DCNS – une entreprise qui produit des moteurs pour les sous-marins nucléaires –, un étrange serpent de mer semblable à une canalisation industrielle (Sans titre, 2009). Alors qu’à Trentemoult, sur un site désolé, Roman Signer a magnifiquement sauvé de sa ruine promise une ancienne centrale à béton des années 1960. Son Pendule (2009), grand balancier fixé à l’arrière de l’édifice rouillé, rythme le temps entre maintien d’un souffle de vie et déchéance inéluctable. Porteuse d’un intense sentiment de nostalgie, son intervention est, à l’instar de celle d’Anthony McCall, l’une des plus émouvantes du parcours. En prenant possession de l’alvéole14 de la base sous-marine de Saint-Nazaire, où est logé le LIFE (Lieu international des formes émergentes), l’artiste s’est en effet montré magistral dans la maîtrise de cet imposant espace. Depuis le plafond situé à une dizaine de mètres de hauteur s’enchaînent quatre récents (2007-2009) Solid Light Films verticaux, situés à la croisée du cinéma, de la sculpture et du dessin. Les cônes de lumière qui se succédent dans le noir, donnant un aspect de cathédrale à l’ensemble, voient évoluer ses chorégraphies millimétrées et silencieuses. On sent là McCall parvenu à une sorte de plénitude.
Plusieurs projets explorent en outre l’Histoire, les mythes et l’imaginaire. Citons Ernesto Neto, qui, dans le patio du Musée des beaux-arts de Nantes, revisite avec une installation très maîtrisée l’histoire du commerce et de l’esclavage (A Culpa Civilizada, 2009), ou Stéphane Thidet, qui a lâché des loups dans les douves du château des ducs de Bretagne (La Meute, 2009). En un joli retournement ils s’approprient, eux aussi, l’espace public.

Estuaire 2009

Programmation artistique: Jean Blaise, David Moinard, Virginie Pringuet, Patricia Buck
Conseiller artistique: Jean de Loisy
Nombre d’artistes: 39

ESTUAIRE NANTES <>SAINT-NAZAIRE 2009, jusqu’au 16août, divers lieux. Informations: tél. 0240757507, www.estuaire.info

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°307 du 10 juillet 2009, avec le titre suivant : L’Estuaire à la manœuvre

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