Un nouveau gardien du temple

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2009 - 733 mots

Le Conservatoire du littoral devrait prochainement ajouter à la liste de son patrimoine la villa Santo Sospir, entièrement décorée par Cocteau.

L’accord n’est pas encore signé car la totalité de l’enveloppe n’a pas été tout à fait réunie à ce jour, mais les parties ont d’ores et déjà donné leur accord. La villa Santo Sospir, à Saint-Jean-Cap-Ferrat (Alpes-Maritimes), devrait bientôt entrer dans le giron du Conservatoire du littoral, établissement public chargé de la protection des côtes et des rivages lacustres. La commune et le département ont déjà confirmé leur engagement financier – chaque collectivité participera pour un montant égal à celui du Conservatoire, soit 500.000 euros. Il restera à trouver le dernier quart pour acquérir cette villa cédée 2 millions d’euros alors qu’elle en est estimée jusqu’à 7 sur le marché, une partie de la transaction s’inscrivant dans le cadre d’une donation. Ses propriétaires tiennent en effet à ce que ce patrimoine devienne inaliénable et puisse être ouvert au public.

D’une architecture néoprovençale assez classique sur la côte méditerranéenne, cette villa de bord de mer est réputée pour la qualité de son décor intérieur créé par Jean Cocteau (1889-1963) dans les années1950. Invité à séjourner à plusieurs reprises dans la propriété de son amie et mécène Francine Weisweiller –descendante de la famille d’industriels Deustch de la Meurthe et épouse du banquier Alec Weisweiller–, l’artiste demande en 1950 l’autorisation d’exécuter un dessin au-dessus de la cheminée. Suivront une série d’œuvres, au fusain ou a tempera, inspirées de la mythologie. Dans son Journal d’un inconnu (1), Cocteau raconte: « deux étés allègres (ceux de 1950 et 1951), deux étés où je tatouais comme une peau, où je maniais ensuite l’attirail du peintre, deux étés où je devenais mur et toile, où j’obéissais à mes ordres sans qu’aucun tribunal ne me jugeât». Deux ans plus tard, Cocteau colorie les plafonds au pastel, achevant ainsi de « tatouer » la villa pour laquelle il créera également des mosaïques et une tapisserie. L’ensemble, qui appartient toujours aux héritiers Weisweiller, a été intégralement préservé.

C’est donc pour en assurer la pérennité que ces derniers ont sollicité le Conservatoire du littoral. L’idée pourrait paraître saugrenue, mais la politique foncière menée par l’établissement pour garantir la protection définitive de son patrimoine, représentant plus de 125.000 hectares, a acquis une crédibilité. Cela alors que l’État a abandonné cette mission et que l’Institut de France, alternative possible, refuse aujourd’hui d’accroître son patrimoine culturel, jugé trop coûteux à entretenir. Le Conservatoire, qui délègue pour sa part la gestion des sites aux collectivités –lesquelles sont souvent impliquées dans le montage financier– a manifesté son enthousiasme. « Sur la Côte d’Azur, dans un contexte de forte urbanisation et où le bord de mer a été largement privatisé, le Conservatoire du littoral cherche à trouver des fenêtres sur la mer, explique Anne Konitz, déléguée au mécénat et à la communication. Par ce biais, nous pouvons rouvrir des portions du littoral au public. » Une motivation similaire avait permis, en 1999, le rachat à Roquebrune-Cap-Martin de la Villa-E1027, construite par Eileen Gray (lire l’encadré). D’autres acquisitions du même ordre seraient également en cours de négociation: le prestigieux parc du bois des Moutiers à Varengeville-sur-Mer (Seine-Maritime), avec plusieurs hectares autour d’une étonnante maison de la fin du XIXesiècle construite par l’architecte anglais Luytens; un jardin historique en front de mer du centre-ville de Cherbourg (Manche), mais aussi l’intervention artistique du Japonais Tadashi Kawamata à Lavau-sur-Loire (Loire-Atlantique), soit un observatoire créé dans le cadre de la manifestation « Estuaire » (lire p.21). «Le Conservatoire est de plus en plus sollicité pour intervenir sur le patrimoine artistique, confirme Anne Konitz. Cela correspond à l’esprit de l’établissement d’allier nature et culture». À condition que ce patrimoine s’inscrive sur un site maritime, lacustre ou fluvial. Cette politique s’ajoute aux acquisitions plus traditionnelles réalisées sur le domaine maritime et concernant tours, phares, sémaphores et balises souvent menacés en raison de leur désaffection. Dans ses statuts, le Conservatoire est également éligible aux libéralités et dations. Depuis les années 1970, plusieurs sites importants sont ainsi entrés dans son domaine par ce biais, dont le château de la Moutte, à Saint-Tropez, ou encore le Casteou dou Souléu, dans le Var. Autant d’édifices qui démontrent que le Conservatoire du littoral est devenu un acteur clef de la sauvegarde et de la conservation du patrimoine architectural.

(1) cité dans Carole Weisweiller, Les Murs de Jean Cocteau, éd. Hermé, 1998.

E-1027 renaît

La saga « E-1027 » connaîtra bientôt son épilogue. Après maintes polémiques, la restauration de cette villa construite entre 1926 et 1929 par Eileen Grey et Jean Badovici à Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes) est en phase d’achèvement (lire le JdA no263, 7juillet 2007, p. 16). Un appel d’offres a été lancé afin de définir un projet de valorisation du site dont la gestion est partagée avec la commune. Car si cette remarquable maison construite «pour un homme moderne» et ouverte sur le spectacle de la mer vaut pour son architecture et ses muraux peints par Le Corbusier entre 1938 et 1939, elle s’inscrit également sur un site mythique. Ami de Badovici, Le Corbusier fréquenta avec assiduité les lieux, avant d’obtenir des Rebutato, propriétaires d’une guinguette voisine (l’Étoile de Mer), de pouvoir construire un cabanon à son usage et quatre unités de camping. C’est là qu’il mourut par noyade en 1965. Avec le rachat de E-1027 en 1999 puis la donation sous réserve d’usufruit de l’Étoile de Mer et des Unités de camping, le Conservatoire du littoral est devenu l’unique propriétaire de ce site du Cap-Martin, le cabanon lui ayant été cédé dans les années 1970.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°307 du 10 juillet 2009, avec le titre suivant : Un nouveau gardien du temple

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