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Jacques Chirac : « Il n’y a pas de cultures privilégiées »

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 7 juillet 2009 - 1599 mots

Jacques Chirac, qui a été président de la République de 1995 à 2002, puis de 2002 à 2007, nourrit depuis longtemps une passion pour l’art des grandes civilisations. En 2000, il a ouvert à Sarran (Corrèze) un musée qui regroupe l’ensemble des cadeaux qu’il a reçus au cours de ses deux mandats. Cette institution présente actuellement une exposition consacrée à une importante collection privée de céramique chinoise. Jacques Chirac commente l’actualité.

Ouvert en 2000, au cours de votre premier mandat présidentiel, et situé en Corrèze, le Musée du président Jacques-Chirac abrite la collection des objets qui vous ont été offerts dans l’exercice de vos fonctions. Pourquoi avoir créé ce musée ?
J’ai reçu au titre de Premier ministre ou à celui de président de la République un grand nombre de cadeaux – le meilleur comme le pire –, souvent originaux, intéressants ou amusants. Je me suis retrouvé à la tête d’un stock de plus de 3 000 cadeaux que j’ai pensé exposer dans un « Musée du président Jacques-Chirac ». J’ai voulu créer celui-ci dans ma commune, à Sarran, village de 300 habitants. Ce musée a donné naturellement à Sarran une réputation et un souffle.

Tous ces cadeaux sont-ils présentés en permanence aux visiteurs ?
Parce que le musée possède des sous-sols qui sont visitables, tous les objets de la collection sont accessibles aux visiteurs. Les pièces qui se trouvent dans les réserves sont présentées dans des vitrines. Autour de 150 cadeaux (sculptures, tableaux, modèles réduits, vêtements…) sont exposés en permanence au premier étage dans le musée lui-même. Ces objets tournent. Chaque fois que je vais à Sarran, je participe au choix des pièces présentées avec la conservatrice du musée, Michèle Périssère. Je visite les réserves et donne mon sentiment sur les plus belles pièces à exposer. Le musée reçoit aussi le soutien très actif du conseil général de Corrèze et de son président, François Hollande.

Quels genres de cadeaux peut-on y découvrir ?
Les œuvres telles qu’elles sont présentées, aussi bien dans les réserves que dans le musée lui-même, sont moins des chefs-d’œuvre artistiques qui auraient leur place dans des institutions comme le Louvre ou le Musée Guimet que des objets représentant divers aspects des cultures et pays que j’ai visités. À chaque pièce exposée dans le musée est associé un discours explicatif sur l’objet et sa culture. Le propos retrace aussi le voyage que j’ai fait en liaison avec l’objet. Par ailleurs, on m’a offert énormément de livres tout au long de ma carrière politique. J’ai donné la totalité de ces 2 000 ouvrages à la bibliothèque du musée. De fait, le Musée du président Jacques-Chirac possède une bibliothèque exceptionnelle, accessible à tous pour la consultation et le prêt. Cette bibliothèque est également un lieu de recherche spécialisé ouvert aux chercheurs et aux étudiants. À ces ouvrages appartenant à la collection de cadeaux s’ajoutent des livres acquis régulièrement par le musée pour répondre à ses besoins de recherche documentaire ainsi qu’un dépôt d’ouvrages de la bibliothèque départementale de prêt de la Corrèze, soit au total 10 000 livres répartis sur trois niveaux.

Avez-vous conservé à titre personnel des présents auxquels vous étiez particulièrement attaché ?
Je n’ai gardé aucun cadeau pour moi. Je les ai tous envoyés au musée de Sarran. C’est une question de principe. C’est une habitude que j’ai empruntée à François Mitterrand.

Ce musée a été réalisé en deux phases par Jean-Michel Wilmotte. Pourquoi votre choix s’est-il porté sur cet architecte ?
J’ai accepté la proposition de Jean-Michel Wilmotte pour Sarran parce que son projet se fondait bien dans l’environnement. Il a d’ailleurs été bien perçu par la population. [Une petite maison et une grange dans un pré ont constitué le point de départ de ce projet alliant matières premières locales – granit, ardoise, bois de chêne et de châtaignier –, et matériaux industriels (verre, bâton et acier). En s’inspirant des proportions et de la volumétrie de la grange avec sa toiture d’ardoise à double pente, Wilmotte a imaginé à proximité deux corps de bâtiments, l’un pour l’exposition permanente, l’autre pour l’exposition temporaire, reliés par une galerie traversante à toit-terrasse. À cette disposition s’est ajoutée une nouvelle aile, indépendante en apparence mais reliée à l’autre par le sous-sol. Le nouveau bâtiment accueille de vastes réserves, un auditorium et un atelier d’animation. La bibliothèque est située dans une tour reliée par une passerelle au nouveau bâtiment.] Les agrandissements sont aujourd’hui terminés.

Quels domaines culturels couvrent les expositions temporaires qui sont organisées deux fois par an dans ce musée ?
Les expositions temporaires organisées au Musée du président Jacques-Chirac explorent les cultures du monde. Après une saison africaine en 2004, une saison japonaise en 2006 et une saison indienne en 2008, le musée propose à présent une exposition d’une soixantaine de céramiques chinoises anciennes sur une période extraordinaire qui s’étend de la période néolithique, 3 000 ans av. J.-C., à la dynastie des Song. L’an prochain, nous organiserons une très belle exposition d’art africain couvrant toute la culture du continent, avec des pièces venant d’une importante collection belge qui n’a pas été montrée depuis quarante ans.

Pouvez-vous revenir sur la genèse de l’exposition « Trésors de la collection Meiyintang » actuellement présentée ?
L’idée de cette exposition revient à Christian Deydier, antiquaire spécialisé dans l’art d’Extrême-Orient et président des Amis du musée de Sarran. Christian Deydier nous a mis en rapport avec un très grand collectionneur suisse, qui a eu la gentillesse de nous prêter toutes ces œuvres alors qu’il s’apprêtait à les confier à une institution américaine. Soixante-quatre des meilleures pièces de l’un des plus prestigieux ensembles de céramiques chinoises au monde en mains privées – riche d’environ 2 500 pièces – ont été retenues pour montrer l’évolution de la culture chinoise. Regina Krahl, la plus grande spécialiste en céramique chinoise, et Christian Deydier ont participé à la sélection des pièces. Je suis très content que le musée accueille cet ensemble de pièces magnifiques, à l’instar des rares céramiques « Clair de lune ».

Pourquoi l’art chinois vous tient-il particulièrement à cœur ?
Toutes les formes d’art me tiennent à cœur. Je me réjouis quand je découvre une exposition artistique de qualité, qui peut venir de Chine ou d’ailleurs. Je suis particulièrement sensible à l’art chinois car je trouve que c’est un art très raffiné et ancien. La Chine est l’une des plus vieilles cultures du monde et il est normal qu’elle ait engendré, au fil des millénaires, une qualité exceptionnelle d’expressions artistiques. Mais je ne m’intéresse pas seulement à l’art chinois. J’admire l’art des Indes ou l’art inuit, parmi d’autres productions culturelles. Et j’attache une importance aux objets tels qu’ils se présentent lorsqu’ils sont de qualité. Comme disait mon ami Jacques Kerchache, « toutes les cultures se valent ». C’est ma conviction profonde. Il n’y a que les imbéciles pour estimer qu’il y a des cultures privilégiées, et penser qu’en dehors du XVIIIe siècle européen il n’y a rien qui compte. C’est absurde.

Depuis son lancement il y a un an, le 9 juin 2008, quelles actions concrètes la Fondation Chirac a-t-elle mises en œuvre ?
La Fondation Chirac a quatre vocations essentielles. Prioritairement, elle s’occupe du problème de la gestion de l’eau, un problème essentiel du monde contemporain. L’eau est un élément rare qui doit être traité avec intelligence et respect. Deuxièmement, elle s’occupe du problème relatif aux médicaments qui sont faux, contrefaits et parfois toxiques. Les spécialistes estiment que 70 % des médicaments vendus pour lutter contre le paludisme ne servent à rien. Ce sont plus ou moins des placebos ; parfois, ils sont même dangereux. Dans ce contexte, nous avons créé à Cotonou, au Bénin, un institut de certification agréé par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) qui a pour vocation d’examiner les médicaments mis sur le marché en Afrique. Cet institut a pour objectif de distinguer le niveau d’efficacité des médicaments. Le troisième sujet dont s’occupe la fondation est le problème de la déforestation et de la désertification dont tout le monde connaît aujourd’hui les conséquences néfastes, notamment sur le climat. Le quatrième point est culturel. La déforestation conduit au déplacement des populations qui vivent au sein des forêts. Ces peuples vont s’agréger aux populations alentour, qui sont souvent lusophones, francophones ou anglophones. Or, lorsque nous perdons des langues, nous perdons des cultures. Nous avons donc mis en place une bibliothèque numérique de conservation des langues et cultures menacées. Certaines langues ont une richesse et ancienneté importantes, mais ne sont plus parlées que par quelques personnes.

Votre présidence a été marquée par l’ouverture du Musée du quai Branly, à Paris. Trois ans après son ouverture, cette institution a-t-elle selon vous rempli son rôle ?
Le Musée du quai Branly est né d’une idée de Jacques Kerchache, homme pour lequel j’avais beaucoup de respect et d’estime. Si le rôle de cette institution est de diffuser la culture, elle l’a incontestablement rempli. Il suffit pour s’en assurer de voir sa fréquentation. C’est un musée qui marche très bien. Je m’y rends moi-même régulièrement à l’occasion des différentes expositions qui y sont organisées. C’est un musée très bien dirigé par Stéphane Martin, homme qui a une culture, une compétence, un dynamisme et une connaissance administrative lui permettant d’être en quelque sorte omniscient. Grâce à lui, ce musée s’est bien développé.

Quelles expositions vous ont marqué récemment ?
François Pinault a fait quelque chose de superbe à Venise [à la Pointe de la Douane]. Et son exposition à Dinard est également magnifique (1). Sinon, il m’est toujours difficile de citer l’exposition que je préfère. C’est en général celle que je viens de voir.

(1) lire le JdA no 306, 26 juin 2009, p. 10.

TRÉSORS DE LA COLLECTION MEIYINTANG, CÉRAMIQUE CHINOISE ANCIENNE, jusqu’au 11 novembre, Musée du président Jacques-Chirac, 19800 Sarran, tlj 10h-12h30 et 13h30-18h, tél. 05 55 21 77 77, www.museepresidentjchirac.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°307 du 10 juillet 2009, avec le titre suivant : Jacques Chirac : « Il n’y a pas de cultures privilégiées »

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