La dentelle dévoilée

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 25 juin 2009 - 809 mots

Véritable réussite architecturale, la Cité de la dentelle de Calais ouvre ses portes alors que cette industrie est en perdition dans la région.

Des robes et des dessous (chic) présentés comme en lévitation, des pièces de créateurs que des vitrines reflètent à l’infini sur fond de défilés de mode projetés à même les murs, le tout dans l’ambiance clinquante et privilégiée d’un show room, ou celle, plus intimiste, d’un atelier de couture… Parrainée par Chantal Thomass, la très attendue Cité internationale de la dentelle et de la mode, qui vient d’ouvrir ses portes à Calais, témoigne d’une mise en scène soignée. Installée dans une ancienne usine – l’usine Boulart – réhabilitée par les architectes Alain Moatti et Henri Rivière, la cité est une véritable réussite architecturale, à l’intérieur comme à l’extérieur. Situé au cœur de la ville historique et en bordure du canal de Calais, le bâtiment XIXe  a été doté d’une extension moderne : une façade de verre sérigraphiée – les motifs reprennent ceux des cartons Jacquard des métiers de dentelle – dont la forme incurvée évoque l’anatomie féminine. De jour, la façade laisse pénétrer la lumière naturelle ; la nuit, elle projette ses éclairages artificiels dans le ciel, imposant ainsi le bâtiment comme nouveau repère citadin – tout un symbole pour cette ville considérée comme la capitale de l’industrie dentellière.

Un lieu de mémoire
La Cité raconte l’histoire de la dentelle à Calais, depuis les premières productions du XVIe siècle jusqu’aux créations sensuelles de Thomass, Chanel, Gaultier ou Lacroix, en passant par la naissance de l’industrie et les débuts de la dentelle dite mécanique grâce aux métiers Leavers importés d’Angleterre. La cité rend hommage aux nombreux métiers de cette production industrielle qui fit les beaux jours de la ville – esquisseur, dessinateur, perceur de cartons, ourdisseur, tulliste, bobineur –, et, clou de la visite, cinq machines Leavers sont actionnées en public par des tullistes. Les prouesses des architectes et muséographes feraient presque oublier l’ambiance pour le moins tendue – et confuse – dans laquelle a été inaugurée la Cité, le 11 juin, en présence de Christine Albanel, ministre de la Culture, Jack Lang, conseiller régional du Nord-Pas-de-Calais (PS), Nathalie Bouchart, nouveau maire (UMP) de la ville, et Daniel Percheron, président (PS) du Conseil régional Nord-Pas-de-Calais. Il est vrai que les enjeux politiques sont de taille pour cette ancienne ville industrielle qui vient tout juste de passer à la majorité après trente-sept ans de municipalité communiste. « Vous êtes ici dans l’autre France, Madame le Ministre, celle dont le PIB par habitant est de 14 000 euros par an, et non de 60 000 euros comme dans les Hauts-de-Seine. L’état se doit d’être présent ici et nous l’accueillons avec sincérité chaque fois qu’il vient », a lancé Daniel Percheron à Christine Albanel en guise de bienvenue. Depuis le début des années 1980, la dentelle de Calais se meurt, usines et ateliers ferment les uns après les autres, les grandes maisons licencient, métiers et savoir-faire sont vendus ou transférés en Asie… Ironie du sort, c’est dans ce contexte difficile, accentué par « la crise », que la Cité ouvre ses portes. « Les fabricants ont la tête sur le billot. La Cité de la dentelle mériterait mieux le nom de “musée”, car il s’agit bien d’en parler au passé. Ici, rien n’a été prévu pour la recherche et personne n’envisage une diversification de la production, seul gage d’avenir », constate Morgan Railane, auteur, avec Thierry Butzbach, d’un livre-enquête intitulé Qui veut tuer la dentelle de Calais ? (Les Lumières de Lille éditions). Les deux journalistes y révèlent, en prime, de graves problèmes techniques inhérents au bâtiment industriel. Des difficultés que Moati et Rivière ont découvert, avec stupeur, au cours d’un chantier laborieux – lancée à la fin des années 1980, la Cité devait être inaugurée avant les élections municipales de 2008. Les briques et autres matériaux utilisés pour bâtir l’ancienne usine se sont révélés de très mauvaise qualité. Longtemps privé de chauffage, l’édifice a été fragilisé ces quinze dernières années. Moati et Rivière sont toutefois parvenus à conserver un maximum d’éléments originels (notamment les deux tours de la cour), mais à quel prix… Lorsque les machines Leavers fonctionnent, elles font vibrer tout l’édifice, dont le bétonnage des espaces intérieurs a rompu l’ancien équilibre. D’importantes fissures étaient ainsi apparues dans les trumeaux ; elles ont été colmatées à l’aide de résine. Situation cauchemardesque, de nouvelles fissures ont dernièrement fait leur apparition. Pour les experts, celles-ci seraient « sans conséquences ».
Néanmoins, la Cité a pour ambition d’attirer 100 000 visiteurs par an, d’être un centre de ressources et de documentation international, un relais pour les entreprises et les écoles de créateurs, et d’accueillir des défilés intra muros.

Cité internationale de la dentelle et de la mode de Calais

135, quai du Commerce, 62100 Calais, tél. 03 21 00 42 30, www.cite-dentelle.fr

Cité internationale de la dentelle et de la mode de Calais

- Budget des travaux : 27,3 millions d’euros
- Architectes : Alain Moatti et Henri Rivière
- Muséographie : Atelier Pascal Payeur et Sylvie Jausserand
- Superficie : 7 500 m2 (2 500 m2 d’exposition permanente, 500 m2 d’exposition temporaire)
- Conservateur en chef : Martine Fosse
- La collection : 10 000 pièces de dentelle, 3 200 costumes et objets, 9 métiers Leavers

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°306 du 26 juin 2009, avec le titre suivant : La dentelle dévoilée

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