James Cuno, directeur de l’Art Institute of Chicago

« Être un musée à la fois moderne et encyclopédique »

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 26 mai 2009 - 1524 mots

Directeur de l’Art Institute of Chicago, James Cuno dévoile le projet de la plus importante extension dans l’histoire du musée.

L’Art Institute de Chicago a inauguré le 16 mai sa nouvelle aile moderne (Modern Wing) signée par l’architecte Renzo Piano [lire le JdA no 303, 15 mai 2009, p. 36].D’une superficie de 24 500 mètres carrés, elle est la plus importante extension jamais réalisée pour le musée, qu’elle place au deuxième rang aux États-Unis par la superficie, derrière le Metropolitan Museum of Art [Met] de New York. Ce nouveau bâtiment accueille les collections d’art moderne depuis Picasso, l’art contemporain, la vidéo, la photographie, l’architecture et le design, ainsi que le service pédagogique du musée. Elle offre un prolongement à l’extraordinaire ensemble conservé par l’institution riche de chefs-d’œuvre de Monet, Toulouse-Lautrec, Gauguin et surtout Caillebotte et Seurat. James Cuno, « président and Eloise W. Martin directeur » de l’Art Institute de Chicago, revient sur ce projet et commente l’actualité.

Quelles sont les raisons qui ont poussé à la construction de la Modern Wing ?
Les collections. Elles avaient augmenté et il n’y avait pas, il y a dix ans, d’espaces adéquats pour nos collections d’architecture, de sculpture indienne et d’art contemporain. Quand mon prédécesseur, James Wood [aujourd’hui président et P.-D. G. du J. Paul Getty Trust à Los Angeles], a commencé à travailler à ce projet, telles étaient les priorités. Le projet a évolué avec le temps parce que nous avons changé d’échelle. Au début, il était question de 6 500 m2 supplémentaires, soit une surface très restreinte qui n’aurait jamais été suffisante. Quand le site actuel est devenu disponible, que le théâtre qui s’y trouvait a déménagé au centre de Chicago et que le Millenium Park est devenu une réalité, James Wood a pu déplacer son projet sur ce site. Nous avons ainsi pu élargir le programme. Ce dernier inclut maintenant le service éducatif du musée. Il était déjà important avant, mais nous n’avions pas d’espace. Les collections présentées dans la Modern Wing ont aussi changé parce que, à mon arrivée, j’ai décidé de dédier entièrement cette aile à l’art moderne et contemporain. Il n’était plus question de l’art indien, pour lequel nous avons créé de nouvelles salles ailleurs.

Pourquoi vos collections avaient-elles tant augmenté ?
Nous disposons d’un très petit budget d’acquisition, mais nous suscitons d’importants dons. Les musées français, pour certains, sont les héritiers des collections royales et de l’État. Ils achètent plus que nous. Nous bénéficions surtout de dons venant de particuliers. Dans le domaine de l’art indien et himalayen, une grande collection nous a été offerte, celle des Alsdorf. À l’époque, nous n’avions pas de place pour l’accueillir. La collection d’art contemporain avait aussi grandi sans que nous disposions d’espaces adéquats pour l’accueillir.

Beaucoup de musées encyclopédiques, comme l’Art Institute de Chicago, n’achètent pas d’art contemporain. Est-ce important pour vous de couvrir tout le spectre de la création, de l’art égyptien à la vidéo ?
Cela a toujours été important depuis nos fondateurs à la fin du XIXe siècle. Ceux-ci ne voulaient pas seulement créer un musée encyclopédique pour Chicago, en regardant vers le passé à travers le monde, ils désiraient aussi présenter au public l’art de leur temps. À cette époque, il s’agissait de Monet, Van Gogh ou Manet. C’est pourquoi nos collections sont si précieuses. L’art le plus important de leur époque était l’art produit à Paris de 1850 à 1910. Nous avons toujours été à la fois un musée moderne et encyclopédique. Selon nous, nous sommes uniques dans le genre. Le Metropolitan Museum of Art à New York, par exemple, ne possède pas une collection d’art moderne et contemporain aussi forte que la nôtre. D’un autre côté, le Museum of Modern Art de New York ou le Centre Pompidou à Paris ne bénéficient pas d’un contexte encyclopédique pour apprécier leurs collections modernes. Nous pensons détenir cet équilibre, que nous n’avons pas créé mais qui est dû à nos fondateurs et que nous avons poursuivi.

À l’époque où vous avez décidé de construire cette Modern Wing, pourquoi n’avez-vous pas envisagé d’y présenter votre collection d’art impressionniste, l’un des trésors du musée ?
Il est toujours difficile de décider de la date de naissance de l’art moderne. On peut choisir 1789 et la Révolution française, le XVIIe siècle avec la naissance de la science, ou la fin du XIXe siècle qui correspond à la fin de l’académisme et à la montée en puissance des artistes indépendants et du marché de l’art. Nous voulions situer cette rupture au XXe siècle parce que nous souhaitions continuer de présenter notre collection impressionniste dans le contexte de la peinture qui l’a précédée. Nous avons donc décidé de commencer avec Picasso et sa « période bleue ».

Quand vous avez choisi Renzo Piano pour mener à bien la construction de la Modern Wing, était-il déjà inscrit dans le cahier des charges que le bâtiment devait être écologique?
Oui, c’était important non seulement pour nous mais aussi pour notre maire, Richard M. Daley, qui est connu pour vouloir faire de Chicago la ville la plus « verte » des États-Unis. Tous les projets de bâtiments recommandent et encouragent à être les plus « verts » possibles. Il s’agit notamment des dépenses en électricité, chauffage, eau, etc., ainsi qu’en termes d’espaces verts. Cela concerne aussi nos comportements. Nous sommes encouragés à utiliser des bicyclettes et à aménager des garages à vélos et des locaux avec douche pour que les gens puissent se changer quand ils arrivent au travail. Tout ceci fait que notre projet est « vert ».

Le projet de la passerelle reliant la nouvelle aile au Millenium Park est venu plus tard. En quoi était-ce important de créer ce lien avec cette partie de la ville ?
Il y a sept ans, à l’endroit où se trouve aujourd’hui le Millenium Park, passaient des voies de chemin de fer à ciel ouvert à proximité desquelles était aménagé un parking. C’était comme une cicatrice au centre de la ville. Quand le maire a décidé d’y aménager un jardin, et de compléter la séquence des parcs qui entourent l’Art Institute, il est devenu nécessaire pour le musée d’y prendre part, car c’est l’endroit aujourd’hui où se trouve la vitalité de la ville. À Chicago, les parcs préservent le bord du lac. L’idée de Daniel H. Burnham en 1909 [urbaniste qui dessina la ville] était d’installer des institutions municipales dans cet ensemble de parcs. À côté de l’Art Institute, vous trouvez la salle symphonique, le Musée d’Histoire naturelle, le planétarium… Le public plébiscite le bord du lac et le centre-ville. Il était donc important de lancer une passerelle vers le Millenium Park afin que nous puissions connecter les expériences du bâtiment avec celles du parc. Ce dernier est toujours couvert de monde, les gens viennent jouer avec les fontaines, regardent les sculptures qui y sont installées [Anish Kapoor, Jaume Plensa], assistent à des concerts. Il était primordial d’intégrer le musée dans la circulation du parc.

Avec la crise, il est plus difficile pour les musées de récolter de l’argent privé. Quelle est la situation à l’Art Institute ? Allez-vous devoir réduire votre programme ?
Nous pensons que nous aurons assez d’argent car nous avons réduit nos dépenses. Nous n’allons pas diminuer nos programmes, même si certains vont être redéfinis. Mais, comme tout le monde en ces circonstances particulières, nous allons nous passer de certains postes, en attendant la reprise. Cela veut seulement dire que nous n’allons pas grandir, même si nous espérons le faire un jour. En même temps, cette ouverture va engendrer un accroissement de l’intérêt pour le musée. Nous allons rester sur nos positions pour traverser ces moments difficiles.

L’élection du président Obama a relancé le débat sur le financement public de la culture aux États-Unis. Y êtes-vous favorable ?
Non, pas vraiment. Dans ce pays, 160 millions de dollars [117,7 millions d’euros] vont abonder le National Endowment for the Arts. Après que cet argent a été redistribué à des organisations locales, il ne reste qu’environ 50 millions de dollars, ce qui est peu. Nous ne comptons pas là-dessus. Nous pourrions bénéficier de 100 000 dollars par an pour l’organisation d’une exposition. Aux États-Unis, la situation n’est pas la même qu’en Europe. C’est un système que j’aime, il nous force à être proche du public, à engager des relations avec lui. En France, que ce soit pour le directeur du Louvre ou celui du Centre Pompidou, ces liens sont tissés avec le ministère. Nous, nous devons aller vers les gens, cultiver en permanence ces relations, pour les rendre partenaires. Quand cela marche, il se crée une très forte appropriation du musée. Dans les autres pays, les gens viennent au musée, mais ne s’y identifient pas émotionnellement de la même manière.

Une exposition vous a-t-elle marqué récemment ?
C’est l’exposition « Mantegna » au Louvre [sept. 2008-janv. 2009]. C’était une exposition très intelligente. Nous avons eu une très belle exposition « Mantegna » au Met il y a une quinzaine d’années. Mais à Paris, l’exposition montrait ses relations avec la sculpture, ses liens avec des artistes venant du Nord. Elle montrait le terreau culturel d’où venait Mantegna.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°304 du 29 mai 2009, avec le titre suivant : James Cuno, directeur de l’Art Institute of Chicago

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