Saint-François d'Assise : la polémique rebondit

Le toit de la basilique n’est pas en ciment mais en briques

Le Journal des Arts

Le 16 janvier 1998 - 798 mots

Les débats ont fait rage, après le tremblement de terre du 26 septembre 1997, sur les raisons de l’effondrement des voûtes de la basilique Saint-François d’Assise (lire l’entretien avec Bruno Zanardi, JdA n° 46, 24 octobre). Le remplacement du « toit en bois » par un autre en ciment armé dans les années cinquante a été désigné comme la cause principale du sinistre. Giorgio Croci, professeur à l’Université de Rome La Sapienza, spécialiste des problèmes structurels en architecture, conteste cette version des faits, et notamment l’existence de ce fameux « toit en ciment armé ».

ROME - 1) Le toit n’est pas en ciment armé, comme la plupart des articles l’ont rapporté, mais en briques posées sur les anciens et robustes arcs de maçonnerie qui soutenaient le toit en bois. Ceux qui n’ont vu les structures incriminées que sur les photographies peuvent se méprendre sur leur nature et croire que ces arcs ont été remplacés par du ciment armé : c’est probablement l’origine de tous les jugements erronés qui ont suivi. Il n’y a pas eu de modification du toit, mais seulement remplacement d’un “plancher en bois” par un “plancher en briques” (celui des combles).

2) Un “plancher en briques” a un poids assez modeste et, en tenant compte du poids des arcatures en maçonnerie, la différence pour l’ensemble, par rapport à un “plancher en bois”, est insignifiante : une augmentation du poids n’est donc pas à l’origine du désastre.

3) Un “plancher en briques” est incontestablement plus rigide qu’un “plancher en bois” et, en théorie, cela pourrait constituer un facteur négatif. Mais en considérant la rigidité d’ensemble dans laquelle les grands arcs en maçonnerie – transversaux et diagonaux, qui reproduisent exactement la géométrie des doubleaux et nervures des voûtes sous-jacentes – jouent un rôle prépondérant, cet aspect semble être de peu d’importance. Des analyses plus poussées du comportement comparé des deux systèmes, en simulation sur ordinateur, pourront fournir des indications plus précises, tout comme les analyses sur le terrain, rendues possibles par la construction – aujourd’hui terminée – d’une passerelle suspendue entre le toit et l’extrados des voûtes. En tout état de cause, il paraît hautement improbable que la légère différence de rigidité apportée par le “plancher en briques” ait pu jouer un rôle significatif.

4) Le “plancher en bois” aurait résisté pendant sept siècles à plusieurs tremblements de terre et le désastre ne se serait produit qu’après la construction du nouveau plafond. Il y a certainement là matière à réflexion, mais une relation de cause à effet ne peut être démontrée. Le tympan ne s’est-il pas écroulé en grande partie et n’a-t-il pas été sauvé par miracle, bien qu’il n’ait jamais été altéré ?

5) Quelle a donc été la cause de l’effondrement d’une partie des voûtes ? Une réponse définitive à cette question ne peut encore être formulée, mais il est indéniable que la dégradation du mortier de liaison des briques des voûtes a pu jouer un rôle important, comme cela est advenu pour le tympan – bien que le phénomène y ait été certainement plus grave. Mais le facteur essentiel est d’une autre nature : l’énorme quantité de matériaux de remplissage correspondant à l’imposte et aux extrados des voûtes, ajoutée siècle après siècle aux gravats d’origine et dont la masse accumulée pèse plusieurs tonnes, a vraisemblablement provoqué des actions dynamiques importantes. Les calculs préliminaires effectués ont révélé les énormes sollicitations que ces masses de matériaux provoquent sur les voûtes.

6) Autre question à ré­soudre : pourquoi se sont écroulées précisément les voûtes correspondant à la façade et au transept ? Cela ne peut être un simple effet du hasard. En tenant compte du fait que la direction principale du séisme était perpendiculaire à l’axe de la basilique, comme le montrent les dégâts subis du tympan au transept, ces structures forment une sorte d’emboîtement, amplifiant les sollicitations par rapport au corps central de la nef elle-même.

Au stade actuel des études et des recherches, il semble donc fort probable que le remplissage accumulé au-dessus des voûtes, constitué de matériaux mal solidarisés et mis en vibration sur des fréquences différentes de celles qui agitaient les voûtes elles-mêmes, ait été le facteur déterminant. Les voûtains à faible pente, comme dans toutes les voûtes gothiques, disjoints des nervures et parois latérales et liés par un mortier dégradé, ont été soumis à des sollicitations trop élevées pour leur résistance. Les voûtes se sont donc progressivement désagrégées, jusqu’à l’effondrement final. Ces considérations seront peut-être démenties par les nouveaux éléments qu’apporteront les études menées actuellement mais, dans l’état actuel des recherches, telles sont les indications que les connaissances techniques et scientifiques sont en mesure de nous donner.

Giorgio Croci est professeur titulaire de la chaire de Principes structurels des monuments et édifices historiques, Faculté d’ingénierie de l’Université de Rome La Sapienza.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°52 du 16 janvier 1998, avec le titre suivant : Saint-François d'Assise : la polémique rebondit

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