Marché virtuel, de nouveaux intermédiaires apparaissent, part II

La timidité des acteurs traditionnels favorise le développement des sites collectifs

Le Journal des Arts

Le 16 janvier 1998 - 1086 mots

Des sociétés spécialisées d’un nouveau genre apparaissent sur le marché de l’art. Se posant en interface entre les acteurs primaires du marché que sont galeries, commissaires-priseurs, maisons de vente, antiquaires... et ce nouveau médium, elles commercialisent banques de données et espaces commerciaux virtuels.

Avec la globalisation du marché et l’ouverture d’Internet, la bataille est rude pour contrôler le marché de l’information et de la communication. L’enjeu consiste, pour les nouvelles sociétés spécialisées – adossées en général à une activité d’édition, soit traditionnelle, soit multimédia –, à s’imposer comme fournisseurs d’informations vitales au marché et comme des intermédiaires fédérateurs et efficaces pour palier la sympathique mais peu efficace “anarchie” du Net. Avec ces services, payants, l’éthique désintéressée jusque-là en vigueur sur le réseau a du plomb dans l’aile.

L’exemple américain
Outre-Atlantique, l’un des sites de groupe les plus en vue, sur le marché de l’art, est ArtNet, dirigé par l’ancien marchand de Hambourg, Hans Neuendorf. La société revendique une fréquentation d’1,1 million de hits mensuels. 150 marchands sont à ce jour “abonnés” ; ils ont acquitté plus de 5 000 francs l’an pour une présence limitée à un texte accompagné de douze images ! Tourné au départ vers les galeries américaines spécialisées en art contemporain, ArtNet cherche à se développer et propose, à côté des informations sur les galeries qu’il “héberge”, une gamme de services allant de listes d’expositions et d’annonces de ventes à une base de données des résultats de 150 maisons de ventes aux enchères. Au tarif “abonné”, toutes ces informations sont accessibles sur l’Internet pour 100 francs par mois. À sa création, ce site a suscité un débat dans la presse américaine spécialisée : les informations on line, accessibles à tous, allaient-elles mettre fin au secret des transactions et aux rituels d’initiés du monde de l’art ? Mais un site Web peut-il vraiment générer de nouvelles occasions de vente pour les galeries ?

Selon Ernest Johnson, porte-parole d’ArtNet, “plusieurs galeries américaines ont déjà vendu des œuvres grâce au Net, bien qu’il soit difficile de les quantifier, car un client découvrant une pièce sur l’Internet désirera de toute façon la voir à la galerie avant de l’acquérir”.

Interrogations européennes
En Europe, plusieurs entreprises du type d’ArtNet rivalisent sur un marché beaucoup plus fractionné : Art on line, Art Connection, Adec (lire ci-contre), Art Library (Guide Mayer), Thesaurus... Les offres sont légèrement différentes, mais une partie des services proposés se recoupent.

James Lloyd, l’un des directeurs de Burlington Paintings qui fut l’une des premières galeries à rejoindre Art Connection, affiche sa satisfaction : “J’ai pu indiquer précisément ce que je voulais, fixer le style de mes annonces et figurer avec mon propre nom”. Quoique présent sur Art Connection, Burlington Paintings dispose ainsi d’une “existence” indépendante et peut être joint directement par ses clients. “Cela coûte quelque 15 000 à 20 000 francs par an, soit l’équivalent d’une demi-page dans un magazine, dit James Lloyd. Cette solution est donc meilleur marché que de se lancer dans la création d’un site individuel qui reviendrait au moins à 120 000 francs”.

Le plus grand secteur d’Art on line est celui des enchères, qui permet aux maisons de vente de donner des détails sur les vacations à venir. Philipps et Bonhams se sont affiliés, mais Christie’s et Sotheby’s ont refusé, préférant développer leurs propres projets depuis 1995. Le site possède également une section de plus en plus importante pour les galeries haut de gamme, secteur dans lequel Art Connection tente aussi de se spécialiser. Les marchands d’art semblent se répartir entre les deux, même si la Society of London Art Dealers préfère Art Connection. “Abonnée” au site Art Connection, la marchande d’art contemporain Pippy Houldsworth n’a constaté “aucune remontée”. Pas même un appel téléphonique. Pour elle, l’Internet nécessite trop de temps, et ceux qui passent des heures sur le Web ne sont pas des acheteurs de tableaux. Thesaurus, pour sa part, s’est spécialisé sur le marché des pièces de collection. Il offre des informations avancées sur les ventes irrégulières organisées par de petites maisons, concernant aussi bien des tableaux que des stylos ou des boutons.

Le Web est très encombré, les attentes parfois longues et, à la requête “vase chinois”, un moteur de recherche peut vous livrer une interminable liste de restaurants chinois où sont perdus, comme des grains de riz, quelques antiquaires ! La multiplicité de l’offre et la rivalité des nouveaux intermédiaires constituent une partie du problème. Dans cette nébuleuse, il n’est pas étonnant que les ventes sur le Web restent marginales et que de nombreux clients potentiels soient dans l’embarras. Brice Fauché, de la galerie Sollertis à Toulouse, qui dispose de son site propre, avoue “la difficulté à faire connaître son existence dans cette masse énorme de sites présents sur le réseau”. Mais, plutôt que des galeries virtuelles payantes à l’anglo-saxonne, il espère l’apparition “de sous-réseaux et de systèmes de référencement efficaces et qualitatifs”. On en est encore aux balbutiements et les spécialistes prédisent qu’il faudra cinq ans avant que les galeries d’art virtuelles ne deviennent des centres de vente significatifs. Mais en tant qu’outil complémentaire d’une stratégie de marketing, elles apportent dès maintenant à leurs participants un avantage non négligeable.

Des transactions sécurisées

Il existe un a priori négatif concernant la sécurité des paiements sur l’Internet. Pourra- t-on, à terme, acheter une œuvre à 300 000 francs via le réseau Internet en toute confiance ? Bien entendu. Qu’on achète une œuvre à distance ou que l’on consomme de l’information à haute valeur ajoutée, la problématique est techniquement identique. Dans le premier cas, il existe bien sûr des contraintes liées à la perception de l’œuvre, un collectionneur ne pouvant envisager une acquisition à partir d’une simple reproduction photographique sur le Net. Sauf à très bien connaître l’artiste et le vendeur ! Actuellement, les pionniers en la matière utilisent éventuellement l’Internet pour adresser une option d’achat, concrétisée ensuite « physiquement ». Néanmoins, rien n’interdit, techniquement parlant, qu’un amateur acquière une œuvre via le réseau par un des systèmes de paiement sécurisés déjà opérationnels. Le danger est de même nature que pour un achat par téléphone ou par Minitel. Dans le cas d’achat de catalogues ou du paiement d’informations à la demande, d’une part les sommes en jeu sont moins importantes et, d’autre part, la facturation s’opère en ligne, soit à la durée, soit au nombre de requêtes. Les utilisateurs ont le choix, lors de leur première connexion au serveur, de régler instantanément par carte de crédit ou d’acquitter leur abonnement par un moyen traditionnel (chèque...) et d’obtenir leur code d’accès ultérieurement.

Adec lance le Cac 40 du marché de l’art

Spécialiste reconnu des résultats de vente d’œuvres d’art, Adec arrive en force sur l’Internet. Créée il y a dix ans par Philippe Michel, la société installée dans la région lyonnaise entend connaître avec le Web la même réussite qu’avec ses annuaires « papier », ou même son cédérom dont la version d’actualisation est annoncée pour le mois de juin. Depuis quelques mois, sur « artmarket.com » ou « adec.com », un millier de professionnels et collectionneurs consultent quotidiennement le calendrier des ventes internationales mis à jour en temps réel et les résultats d’adjudication des ventes d’art cataloguées. Tel François Tajan qui, quoique prétendant « ne toujours pas savoir se servir d’un Minitel », reconnaît « la qualité des informations fournies par les prestataires de services comme Adec, essentiels aux professionnels ». « Le site a nécessité un investissement considérable et six mois de développement de programmes, explique Josette Mey directrice du marketing de la société. Il est en français et en anglais, et il sera disponible à terme en allemand et en espagnol ». La récolte, la saisie et le traitement des annonces et résultats de ventes, exploités ensuite sur différents supports, dont l’Internet, mobilisent près de dix personnes à plein temps. L’innovation majeure d’Adec, pour cette année, sera la mise en ligne, opérationnelle dès la fin de ce mois, d’« art market index ». Conçu comme un outil d’aide à la prise de décision et d’analyse économique du marché de l’art, il diffusera une cote du type « Cac 40 » pour la Bourse de Paris ; une cote calculée à partir des valeurs réelles communiquées par près de 750 maisons de vente à ce jour et d’ici à fin 1998, par près d’un millier. Cet indice livrera quotidiennement la tendance générale du marché de l’art ainsi que des tendances pour des « valeurs » plus spécifiques : par type de support – dessin, peinture, photographie, sculpture...– et par genre – art ancien asiatique, peinture contemporaine... Accessible en ligne, ce service sera, comme tous ceux proposés aux professionnels par Adec, facturé à l’usage. « Avec le Minitel, nos services étaient facturés à la durée, explique Josette Mey. Avec l’Internet, c’est à la requête et avec une sécurité de paiement absolue », assure-t-elle.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°52 du 16 janvier 1998, avec le titre suivant : Marché virtuel, de nouveaux intermédiaires apparaissent, part II

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque