Marché virtuel, de nouveaux intermédiaires apparaissent, part I

La timidité des acteurs traditionnels favorise le développement des sites collectifs

Le Journal des Arts

Le 16 janvier 1998 - 1348 mots

À la faveur de la mondialisation du marché, les potentialités de l’Internet commencent à séduire quelques professionnels de l’art qui osent franchir le Rubicon. Certains rejoignent des sites collectifs payants destinés aux galeries d’art, un petit nombre s’aventurent à créer des sites personnels.

En théorie, un site web offre de sérieux avantages pour une galerie ou une maison de vente. Il permet de réduire les frais généraux, la publication d’images sur le Net revenant moins cher que l’expédition de catalogues ou de diapositives, et le prix de location d’un espace on line étant bon marché. À cela s’ajoute l’instantanéité d’accès à l’Internet pour les collectionneurs du monde entier. Mais ces avantages sont-ils vraiment à la hauteur des espérances et peut-on vendre de l’art sur un site web ?

Me Jean-Claude Binoche a été le premier en France a réaliser ce coup “multimédiatique”. En octobre 1996, il organisait la première vente d’une œuvre virtuelle sur l’Internet ; “signée” Fred Forest, elle était adjugée 58 000 francs (voir page 18). Puis, le même commissaire-priseur récidivait l’an dernier avec la première vente traditionnelle relayée par le Net : la dispersion de documents relatifs à l’affaire Dreyfus, hébergée sur “nart.com”, un prestataire de service spécialisé dans l’Internet (voir page suivante). Pour l’occasion, 5 000 à 10 000 internautes affluaient sur le site partenaire de Drouot, ce qui avait gêné la transmission des offres. De surcroît, la fluidité des messages avait pâti de la saturation occasionnée par la retransmission d’images filmées ! Six transactions (comprises entre 500 et 25 000 francs) sont intervenues par l’Internet, dont une avec un client qui mit deux heures à se connecter, un Japonais très zen ! Pour réussir ce type de vente, il faudrait en fait disposer de deux sites distincts, l’un réservé aux enchérisseurs – identifiés préalablement et munis d’un code d’accès confidentiel – et l’autre destiné à la salle virtuelle, au public. Un problème technique restera à surmonter : la désynchronisation entre les offres en ligne et celles de la salle.

François de Ricqlès, pour sa part, avait développé son propre site. Faute d’internautes-clients, il l’a fermé, considérant que c‘était une bouteille à la mer mais concédant que l’Internet est “un outil assez bon marché, en comparaison des frais de publicité et d’édition de catalogues”. A contrario, chez Me Jean-Claude Anaf, à Lyon, on considère que “le site Internet de l’étude où sont annoncées les ventes spécialisées et de prestige est très important pour les clients étrangers”.

La Gazette de Drouot, complément à l’édition papier, présente les dates, les lieux et les résultats des ventes organisées par les commissaires-priseurs, avec un système d’accès par spécialités et par mots clés. Le marchand new-yorkais Guy Sainty a lui aussi son propre site, mais il ne croit pas aux ventes directes par le Net : “Personne ne va acheter un tableau sérieux en le découvrant sur le Web, pas plus que sur un catalogue ou une diapositive. Non, son utilité est ailleurs.” De son côté, James Lloyd l’un des directeurs de Burlington Paintings, a réussi à vendre un tableau par l’Internet à un client belge : “Consultant notre site, il a vu un tableau, m’a faxé une option d’achat le soir même et a conclu le lendemain matin. Il possédait déjà, il est vrai, un autre tableau du même artiste.” Reste que James Lloyd a consacré beaucoup d’efforts à faire la publicité de son site : “Les gens n’affluent pas naturellement. Il faut les démarcher, mettre les références sur toutes les publicités, les en-têtes de lettre et les catalogues.”

Une nouvelle chance pour les entrepreneurs
Cette ouverture sur le monde est une occasion pour les galeries de reprendre une partie du marché des maisons de vente ; auparavant, elles ne pouvaient guère espérer rivaliser avec les succursales internationales de Christie’s et de Sotheby’s. Ces sociétés traitent trop de pièces pour les mettre toutes en ligne, alors qu’une galerie disposant d’une centaine de tableaux en stock peut en présenter un bon nombre.

Brice Fauché, de la galerie Sollertis à Toulouse, l’un des premiers galeristes à créer son propre site, considère le bilan “globalement positif” au regard “des objectifs modestes fixés au départ”. “Il s’agissait, explique-t-il, de développer un outil de communication, de savoir et de connaissance plutôt que commercial. L’Internet nous a mis en contact avec des étudiants et des professionnels de l’art contemporain en quête d”informations sur des artistes. Cela relève de la mission d’une galerie, et ce rapprochement est vital pour une galerie provinciale. En plus, l’e-mail (boîte à lettres) de l’Internet permet des communications plus économiques que par télécopie, et même la transmission d’images de qualité et en couleur”.

Le marchand londonien Alex Wengraf est aussi un chaud partisan du Net, mais il a décidé d’ignorer les groupes déjà organisés pour créer son propre site. “J’ai tout fait moi-même avec la seule aide d’un informaticien. Je comparerais un site à un catalogue dont on aurait démonté toutes les pages pour les agencer de façon à les consulter dans n’importe quel ordre.” Outre la présentation de tableaux, il y a inclus des propos personnels et même des photos de ses ancêtres. “Les gens ont besoin de sentir qu’ils viennent chez moi”, justifie-t-il. Depuis, il a réussi à vendre plusieurs tableaux sur le Web : “Ce sont nos bons clients qui préfèrent ce système, surtout les banquiers qui passent leur temps le nez sur l’écran.”

Internaute assidu et convaincu, travaillant actuellement avec Marie-Claire Marsan à l’ouverture prochaine d’un site Internet du Comité des galeries d’art, Brice Fauché ne croit pas aux perspectives commerciales directes de l’Internet car “la vente d’une œuvre originale passera toujours par un réseau de relations, par la confiance et par le contact physique”. Alors que François Tajan, qui “ne connaît rien à la technique” mais a voulu doter l’étude d’un site, estime que “le jour où le paiement par l’Internet sera sécurisé, on basculera sûrement ; et cela fonctionnera comme le téléphone avec, en plus, des liaisons en temps réel pendant la vente avec des clients préalablement identifiés”.

Veille technologique pour les droits d’auteur

Initiateur dans la protection des images afin d’en limiter la copie, le magazine Playboy a décidé, en juin dernier, de placer des filigranes numériques sur ses quelque 9 millions de photographies diffusées sur l’Internet. Le procédé PictureMarc, développé par Digimarc, permet d’intégrer aux images des informations invisibles pour les suivre à la trace. Même imprimées et scannées, elles conservent leurs marques. En cas de tentative de copie, une alerte signale que la photo est soumise à des droits et dirige l’utilisateur vers la page de l’auteur. Ensuite, un autre logiciel, MarcSpider, permet de les traquer sur le Net et d’adresser des rapports mensuels aux ayants droit. La problématique est identique en matière d’œuvres d’art, sauf que les copieurs ne sont peut-être pas les mêmes ! Corbis, la base de plus d’un million de documents gérée de près par Bill Gates, préfère quant à elle agir en amont. Toutes les images sont visibles par l’intermédiaire d’un logiciel spécifique, Corbis Image Viewer, qui affiche sur la photo le logo de la société ; pour le faire disparaître, il faut maintenir la souris en tapant la touche “ctrl�?. Mais il est impossible de faire une quelconque copie sans logo. IBM, pour sa part, compte appliquer également avec le fonds visuel du Musée de l’Ermitage un système “propriétaire�? de ce type. La photothèque de la Réunion des musées nationaux, en revanche, qui ne dispose pas encore de protection en ligne pour ses 60 000 diapositives couleur et ses quelque 500 000 négatifs noir et blanc, s’abstient de les communiquer sur le réseau. Il existe bien d’autres procédés mais, pour l’instant, aucun ne semble prendre le pas sur les autres. Pourtant, la voie la plus cohérente serait de définir un format unique qui gérerait le copyright. Le nouveau format PNG, bientôt adopté par plusieurs acteurs majeurs de l’Internet, pourrait à terme devenir cette référence unique, essentielle pour les documents relatifs à l’art moderne et contemporain. Autre solution préconisée par Jacques Thuillier (voir page 19), professeur au Collège de France : abolir tous les droits sur l’image !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°52 du 16 janvier 1998, avec le titre suivant : Marché virtuel, de nouveaux intermédiaires apparaissent, part I

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