« S’inspirer du modèle anglais »

Entretien avec Jean-Pierre Allinne, spécialiste du droit du patrimoine culturel et des fondations. Il analyse l’évolution des comportements en matière de mécénat en France.

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 28 avril 2009 - 1211 mots

Professeur d’histoire du droit à l’Université de Pau, spécialiste du droit du patrimoine culturel et du droit des fondations, Jean-Pierre Allinne a coordonné avec Renaud Carrier l’ouvrage collectif à paraître, La Culture au risque du marché : le mécénat, nouveau paradigme ? (L’Harmattan, collection « Histoire du droit »). Il répond à nos questions sur l’évolution du mécénat en France.

Depuis les nouvelles dispositions de 2003, le mécénat est-il devenu un nouveau modèle de financement de la culture ?
Depuis 2003, dans le discours politique néolibéral, le mécénat est clairement devenu un nouveau paradigme. Toutefois, dans la réalité du financement, la réponse est plus nuancée puisque le mécénat représente seulement 8 % du financement total de la culture. La culture reste donc financée à 90 % par le secteur public, les plus gros bailleurs de fonds étant les villes et les communautés d’agglomérations. Notre modèle reste donc à dominante publique avec, subsidiairement, une intervention de fonds privés.

Néanmoins, peut-on considérer que de nouveaux comportements ont été induits par cette loi ?
Oui et certains sont très prometteurs. La piste la plus intéressante réside dans les partenariats entre petites et moyennes entreprises (PME) et collectivités locales de taille moyenne. Dans ce domaine, le spectacle vivant a indiqué la voie en montant des financements tripartites associant les collectivités, l’État et des clubs de mécènes de PME. Les musées locaux pourraient s’en inspirer, à condition de prendre des précautions. Il manque en France ce qui a fait le succès du mécénat en Angleterre, l’Art Council, dans lequel les grands mécènes sont associés aux choix culturels. Ces partenariats locaux permettraient à la France d’adapter ce modèle. En instaurant un partenariat dans les décisions avec les mécènes, qui pourraient être représentés au sein des conseils d’administration des institutions. Ce serait le début d’une nouvelle culture.

Cette loi de 2003 ne présente-t-elle pas des lacunes, au sens où elle favorise le mécénat des entreprises ?
Le scandale de l’ARC (Association pour la recherche sur le cancer), dans les années 1990, a justifié la méfiance de l’État français par rapport aux fondations, ces corps intermédiaires privés qui le concurrencent dans le domaine de l’intérêt général. Peu de fondations, en France, sécurisent les dons des particuliers. C’est le cas – car elles sont contrôlées par l’État – de la Fondation de France, créée par Malraux en 1969, et de la Fondation du patrimoine, qui peut recevoir, depuis 2008, des dons de particuliers. Il s’agit en effet d’une lacune car il y a là une très forte potentialité. En matière de dons, les Français sont moins généreux que les Américains, mais ils sont désormais deuxièmes, derrière les Allemands et devant les Britanniques. Le retard a été peu à peu rattrapé. Mais peut-être faudrait-il étendre le dispositif des « trésors nationaux » aux particuliers, afin que, comme les entreprises, ils puissent bénéficier de 90 % d’exonération fiscale.

Pour autant, le modèle anglo-saxon est-il transposable à la France ?
Non, car il y a en France cette méfiance historique envers les fondations, qui remonte à la Révolution et aux mauvais souvenirs qu’ont laissé les corps intermédiaires de l’Ancien Régime. Dès 1805, Napoléon a édicté des mesures restrictives à l’encontre des institutions privées d’intérêt général. La culture est toujours considérée comme un facteur politique d’unité nationale, même si cela est en train de changer car l’État n’a plus les moyens financiers de ses ambitions.

Existe-t-il une spécificité française dans la pratique du mécénat ?
Le secteur culturel, son financement et son pilotage sont à direction publique. Ce schéma est cependant en train de s’aligner sur le modèle anglo-saxon. Les choses vont donc probablement changer dans les années à venir. En temps de crise, la culture n’est pas prioritaire mais elle est politiquement indispensable pour créer du consensus. Louis-Philippe l’avait compris dès 1830. L’un des premiers actes de la Monarchie de Juillet a été de créer, avec Mérimée, l’Inspection générale des monuments historiques, afin de se doter d’une légitimité. Même s’il y a une diminution des financements publics, ils ne pourront jamais disparaître totalement.

Cette incitation au mécénat a-t-elle été accompagnée d’assez de précautions en termes de déontologie ?
Non. Et c’est pour cela que les conservateurs du patrimoine sont encore très réticents. La ligne jaune a en effet été franchie plusieurs fois. Cela a été le cas en 2004 avec Vinci à Versailles, où la frontière entre mécénat et parrainage a été brouillée. Je pense aussi au cas d’une exposition du Palais de Tokyo sur le thème de la peau, financée par Nivéa. Certains films de vidéastes présentés avaient été tournés dans les laboratoires du groupe. En France, les mécènes ont pris l’habitude d’organiser des soirées privées dans les musées. Or il y a des précautions à prendre pour la conservation des œuvres, qui ne sont pas toujours respectées.

Que pensez-vous du développement du mécénat de compétences ?
C’est une excellente idée. À condition, là encore, d’être vigilant. Il me semble ainsi que, dans le cas de Lascaux, EDF a trop joué à l’apprenti sorcier. Le mécénat de compétences me paraît surtout intéressant à l’échelle des PME. Je considère, ici aussi, qu’il faudrait s’inspirer du modèle anglais de l’Art Council. L’Admical pourrait ainsi devenir une structure de mécénat du type « autorité administrative indépendante », comme l’est le Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Jacques Rigaud, son ancien président, était pourtant hostile à cette idée…
Sur ce point, il me semble qu’il avait tort. Tout comme lorsqu’il a déclaré que le mécénat ne servirait pas à boucler les fins de mois d’un État impécunieux. Car nous y sommes ! Cette structure permettrait d’établir une coadministration des projets avec les mécènes, sous égide publique. Aujourd’hui, les mécènes déplorent d’être obligés de passer sous les fourches caudines des choix publics. Dans le même temps, cette direction publique est essentielle car elle évite de tomber dans la facilité et le conformisme. Sous cet angle, le modèle anglais est très positif. Le National Trust fonctionne de la sorte depuis 1895, avec des mécènes représentés au sein de son conseil d’administration, sans aucune critique majeure.

Le mécénat culturel pourra-t-il résister à la crise économique ?
La culture n’étant pas un secteur vital, les budgets vont se réduire dans tous les pays, du fait d’une concurrence avec le mécénat social et humanitaire. Toutefois, la crise ne remet pas en cause le modèle du mécénat. En France, 750 000 emplois sont en jeu dans le secteur culturel, qui représente 0,25 % du PIB. Un plancher va toutefois être atteint et le secteur va connaître deux ou trois années de vaches maigres. Mais les subventions publiques sont tellement enracinées qu’elles vont être maintenues. Leur surpression serait une vraie révolution. Les grandes expositions, du type des blockbusters du Grand Palais, ne sont pas affectées car elles sont désormais ancrées dans les habitudes de consommation culturelle des classes moyennes. En revanche, les actions volontaristes à destination des classes défavorisées vont reculer. Or on sait aussi que la culture est une consommation addictive : plus on en consomme jeune et plus on en consommera à l’âge adulte. L’avenir serait donc que les mécènes financent des actions éducatives culturelles dans les écoles ou même les universités. Or, aujourd’hui, l’argent va plutôt à l’argent et ce sont les grands musées comme le Louvre qui attirent le plus de mécènes.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°302 du 2 mai 2009, avec le titre suivant : « S’inspirer du modèle anglais »

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