Choc

La photographie en procès

Le Journal des Arts

Le 28 avril 2009 - 646 mots

Après le Musée de l’Elysée de Lausanne, la Bibliothèque nationale de France expose quatre-vingts images ayant en leur temps suscité la polémique.

PARIS - En quatre-vingts images célèbres ou méconnues, la Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, à Paris, explore un thème inédit emprunté au Musée de l’élysée à Lausanne. L’exposition « Controverses, photographies à histoires » apprend à décrypter le sens d’une image autant qu’à s’en défier. Deux cas introduisent le sujet. La première polémique éclate en 1840 lorsque Hippolyte Bayard, précurseur lésé du tirage sur papier, conteste l’invention de la photographie attribuée à Daguerre dans un Autoportrait en noyé. L’actualité illustre la bataille séculaire pour la liberté d’expression : en 2006, le Musée d’Orsay commande à l’artiste britannique Rip Hopkins une série sur son personnel. Un vigile pose nu devant un fameux tableau à scandale d’édouard Manet dont il parodie le modèle féminin. Refusé par le musée, le grand format Cyrille et Le Déjeuner sur l’herbe a été l’un des clous du dernier salon Paris Photo.

Dès ses origines, le medium photographique a suscité le débat : est-il un art ou non ? « La facilité de manipulation de la photo autant que la difficulté d’interprétation de l’image constitue des sources évidentes de controverses », souligne Daniel Girardin, conservateur du Musée de l’élysée. De fait, les questions du plagiat, de la contrefaçon, de l’appropriation, de l’image de propagande retouchée apparaissent récurrentes à travers l’affaire du portrait du comte de Cavour par Mayer et Pierson légitimant le droit d’auteur dès 1862, les faux vintages de Man Ray en 1997 liés à la flambée du marché de la photo, les photomontages politiques sous Staline comme le reportage orienté d’André Zucca sur les « Parisiens sous l’Occupation ». Le malaise s’installe lorsqu’un cartel postule, à propos de l’instantané controversé du reporter Robert Capa durant la guerre d’Espagne : « L’image n’aurait-elle de valeur que si elle est vraie ? Pourtant, qu’elle soit réelle ou mise en scène, qui pourrait contester que Mort d’un soldat républicain symbolise (...) l’immédiateté, la violence et l’absurdité d’une mort au combat ? » L’idée qu’une mise en scène équivaudrait à un document pourvu que le symbole soit fort et que la cause servie soit bonne avaliserait des manipulations semblables au faux charnier de Timisoara qu’évoque également cette exposition.

Des images impossibles  à montrer
« La limite entre l’information et un voyeurisme malsain », ajoutée à l’évolution du regard social sur les atteintes à la vie privée, rend certaines images impossibles à montrer selon les commissaires de l’exposition. Ainsi le portrait mortuaire de Bismarck en 1898, premier scoop de l’histoire de la photographie, n’a pu être associé à celui du Président Mitterrand, autre image volée. « Nous n’avons simplement pas trouvé de tirages », affirme Daniel Girardin.

Autre exemple : le tabou actuel de la pédophilie a dissuadé David Hamilton d’exposer ses jeunes filles en fleurs par crainte d’un procès. « Le contexte particulier du musée permet de montrer des œuvres dures, violentes ou osées qui relèveraient ailleurs de la pornographie », observe Sylvie Aubenas, qui a accroché un portrait sado-masochiste de Mapplethorpe, Piss Christ d’Andres Serrano, et Kissing-nun d’Oliviero Toscani. Des représentations qui interrogent la frontière entre liberté de création et images sacrilèges à une époque où la provocation devient un fonds de commerce artistique et publicitaire. L’image politique actuelle est absente : l’affaire de la bague de Rachida Dati escamotée par le quotidien Le Figaro serait « un cas français moins intéressant », selon Sylvie Aubenas.

CONTROVERSES, jusqu’au 24 mai, BNF, site Richelieu, 58, rue de Richelieu, 75002 Paris, du mardi au samedi 10h-19h, 12h-19h le dimanche. Cat., coéd. Actes Sud/Musée de l’élysée, 320 pages, 45 euros.

CONTROVERSES
Commissariat : Daniel Girardin, conservateur du Musée de l’Elysée, Lausanne, et Christian Pirker, avocat au barreau de Genève.
Commissaire associé : Sylvie Aubenas, directeur du département des Estampes et de la Photographie, BNF.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°302 du 2 mai 2009, avec le titre suivant : La photographie en procès

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