Etablissements publics

« Mais que fait la tutelle ? »

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 31 mars 2009 - 893 mots

Le Musée du Louvre et la RMN se livrent à une concurrence relevée par les magistrats de la Cour des comptes et les députés.

PARIS - C’est peut-être par cette affaire que le Louvre sera – enfin – sommé de rentrer dans le rang. La Cour des comptes, dans un rapport sur la gestion du Musée du Louvre qui sera bientôt remis à la ministre de la Culture, et qui n’a pas vocation à être rendu public, l’a baptisée « l’affaire Lessing ». Du nom d’un photographe, Erich Lessing, que le Louvre a autorisé à photographier et à diffuser gratuitement les œuvres du musée, avec pour seule contrepartie de permettre au musée d’en disposer gratuitement pour ses propres éditions. Lesquelles concurrencent directement celles de la Réunion des musées nationaux (RMN), et ce, en dépit d’une circulaire de 1998, dite « circulaire Jospin », recommandant d’éviter la multiplication de maisons d’édition publiques. Depuis quelques années, le Louvre est en effet son propre éditeur, mais doit payer des droits à la RMN pour l’usage des reproductions d’œuvres de ses collections. « La question du droit de propriété est un faux problème, les photos ont été prises par la RMN à l’époque où elle était le seul établissement à pouvoir percevoir des recettes », a plaidé Thomas Grenon, administrateur de la RMN, lors de son audition le 19 mars par les députés de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) de l’Assemblée nationale. Ces derniers rendront prochainement un rapport sur le sujet, piloté par Nicolas Perruchot (Nouveau Centre), Richard Dell’Agnola (UMP) et Marcel Rogemont (SRC). Grâce aux photographies Lessing, le Louvre a pu, notamment, éditer son propre guide des chefs-d’œuvre des collections, équivalent à celui produit de longue date par la RMN, mais vendu 3 euros de moins. Thomas Grenon a donc dénoncé cette concurrence entre établissements publics. Et de rappeler que « la RMN a désormais interdiction de publier le Petit Journal des grandes expositions pour le Louvre, et que, sur dix-sept appels d’offres passés par le Louvre pour ses publications, la RMN n’a jamais été retenue. La destruction de valeur pour l’État a été estimée à 500 000 euros ». Cerise sur le gâteau, Erich Lessing a vendu ses droits au concurrent allemand de la RMN, l’agence AKG-images. « Il s’agit d’une erreur de valorisation du capital immatériel de l’État », tranche la Cour des comptes dans son rapport. Et de souligner que le Louvre, responsable de la gestion de son personnel depuis 2003, a depuis recruté six photographes à temps plein, soit autant que la RMN pour couvrir tous les musées nationaux. Et ce, « de manière masquée par rapport au ministère ». Pour sa défense, le Louvre met en avant le coût de la RMN, un argument balayé par la Cour des comptes. « La RMN est la seule à disposer d’une comptabilité analytique alors que le Louvre ne connaît pas ses coûts en matière d’édition ou de production d’exposition, souligne le rapport. Un audit, programmé depuis deux ans par le ministère de la Culture, et présentant les coûts comparatifs entre musées et RMN, n’a toujours pas été engagé. »

« Joconde décalée »
Pour les députés de la mission, une question devient donc récurrente depuis le début des auditions préalables à la rédaction du rapport : « Que fait la tutelle pour arbitrer ? » Si les relations sont tendues depuis plusieurs années entre le Louvre et la RMN, la tension a en effet atteint son sommet au cours des derniers mois. Après l’affaire du partage des recettes de l’exposition « Picasso et les maîtres », pourtant établie de manière contractuelle, le Louvre a dénoncé la politique d’assortiments de produits menée par la RMN dans la boutique du Carrousel. L’enjeu est de taille, puisque cette boutique, qui est aussi la première librairie d’histoire de l’art de l’Hexagone, génère à elle seule un tiers du chiffre d’affaires de la RMN. Autant dire que le Louvre, toujours en quête de ressources propres, aimerait mettre la main sur cette manne. Certains produits, parmi lesquels une paire de tongs en plastique issue d’une gamme intitulée « Joconde décalée » – dont chacun appréciera le bon goût – est à l’origine d’une polémique. « Cette gamme a été créée à la demande du Louvre et le choix de ces produits, comme tous ceux placés dans la boutique, a été validée par le musée »,  a expliqué Thomas Grenon devant les députés.
Entendue le 19 février par la MEC, Marie-Christine Labourdette, directrice des Musées de France, a affirmé que la Rue de Valois trancherait bientôt en faveur de la RMN. En matière de photographie, celle-ci devrait en effet devenir l’agence patrimoniale du ministère. La directrice des Musées de France s’est ensuite lancée dans une curieuse métaphore pour expliquer la situation. « Le Louvre a été le premier bénéficiaire de l’autonomie des musées, a-t-elle expliqué. Comme tout aîné de la famille, il en a donc eu les avantages et les inconvénients. Il teste la capacité de résistance de ses parents et vérifie ses rapports avec les autres membres de la famille. Les tensions ont été excessives, elles sont en cours de normalisation. » La ministre de la Culture, par ailleurs auteure d’un roman intitulé Une mère insensée, manquerait-elle à ce point d’autorité ? Christine Albanel devrait être entendue par les députés le 9 avril, en clôture de ces auditions.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°300 du 3 avril 2009, avec le titre suivant : « Mais que fait la tutelle ? »

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